Nul ne peut oublier ce voyage où Ferdinand Bardamu, sorte d’alter ego de Céline, raconte son expérience de la Première Guerre Mondiale, de l’Afrique et du colonialisme, des États-Unis de l’entre deux-guerres et de l’exercice de la médecine dans une banlieue française qui crève de misère. Partout, dans un style qui surprit à l’époque, alliant langage parlé, argot et structures grammaticales raffinées, Céline pointe avec une ironie mordante et désespérée l’absurdité du monde, la pourriture et la décomposition liées à la guerre et à la misère et la lâcheté des hommes.
Franck Desmedt, Molière du second rôle dans Adieu Monsieur Haffmann en 2018, s’est attaché au texte de Céline. Les morceaux choisis s’enchaînent avec fluidité, un bref passage au noir marquant délicatement les changements de lieux. On suit Ferdinand dans les horreurs et l’absurdité de la guerre où il fait un portrait terrible de ces Généraux peu enclins à sacrifier leur rêves de gloire pour la vie de leurs hommes. On le retrouve dans l’Afrique coloniale, refuge des médiocres qui consolent leurs déceptions et leur amertume dans le mépris « des indigènes », une Afrique loin des images d’Épinal où tout est insupportable, la chaleur le jour, le bruit, la nuit. On le suit aux États-Unis où à l’arrivée à New-York succède l’embauche dans les usines Ford à Détroit où on lui rappelle vertement qu’il n’est pas là pour penser mais pour faire des gestes et que « c’est de chimpanzés que l’on a besoin ». Le retour en France est tout aussi sombre avec la misère qui colle à la peau de cette banlieue sinistre et la mort de l’enfant qu’il ne parviendra pas à sauver.
Pas de décor, seulement une chaise et pour le voyage en Afrique un broc qu’il se verse sur la tête pour échapper à la touffeur africaine et une lessiveuse figurant la pirogue exiguë qu’il empruntera pour prendre son poste ; pour les États-Unis un fond de jazz et l’enseigne lumineuse d’un motel. Cela suffit car c’est la parole qui est en majesté. C’est sur le visage de Franck Desmedt que s’inscrivent les sentiments. La voix devient conversation ou narration. Dans le noir de plus en plus profond au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans l’âme de Bardamu, surgit une petite lueur tandis que le texte déploie des fulgurances qui nous clouent le cœur.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 18h30, le dimanche à 15h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu