Tour Saint-Jacques, milieu des années 80, un homme attend le bus de ramassage des SDF qui le conduira jusqu’au Centre d’accueil de Nanterre.
Il fait froid. Il est transi, sans boulot, sans perspective et la solution d’hébergement ne l’enchante pas.
Mais en réalité, l’homme qui attend le bus de ramassage n’est pas un clochard. C’est Patrick Declerck qui a infiltré le monde des SDF.
Il est ethnologue. Il deviendra plus tard psychanalyste à la Mission France de Médecins du Monde ainsi qu’à l’hôpital de Nanterre.
Mais ce soir d’hiver, pour savoir ce qui se passe vraiment dans les centres d’accueil des SDF, il a revêtu des haillons et s’apprête à passer une nuit dont il avait une vague idée mais qui était bien en deçà de la réalité.
Il va plonger dans le vaste océan nauséabond de la misère humaine à son plus haut degré, peuplé d’hommes et de femmes déclassés, délaissés qui trouvent on ne sait où ni comment, le courage de survivre dans un monde qui les méprise.
Quand il aura côtoyé la crasse, la puanteur, la honte, la mauvaise humeur et les dangers de la promiscuité ; quand il aura très vite compris que ces hommes et ces femmes souvent ivres, parfois violents sont des blessés, des rêveurs éthyliques, que les femmes échappent à la douche pour conserver les mauvaises odeurs qui les tiendront à l’abri du viol, il aura tenté de nous rapprocher un peu plus de ceux qui nous touchent, mais de loin, et mettent en question une société qui laisse faire ou se donne bonne conscience avec une vitrine de propositions sociales bien insuffisantes.
Lorsque, travaillé par le constat cruel de la désocialisation et de l’errance, il donne en 1986, au sein de Médecins du Monde, la première consultation d’écoute auprès des SDF, sait-il qu’il va, pendant quinze ans de sa vie, s’intéresser aux clochards de Paris et tenter, tant bien que mal, de les aider.
Le spectacle se présente sous la forme d’un long monologue qui regroupe des textes des deux ouvrages de Patrick Declerck entre considérations scientifiques et anecdotes recueillies au cours des consultations ou de ses passages en centre d’accueil.
La dernière partie de « On a mal dormi » décroche de l’anonymat et des généralités sur le problème des gens de la rue pour s’attacher à un personnage entre des centaines d’autres, celui de Raymond, à peine plus de quarante ans, trouvé mort à proximité d’un centre de soins. Patrick Declerck tentera de retrouver sa dépouille à la morgue ou dans un singulier cimetière réservé à ceux dont personne ne réclame le corps.
La mise en scène de Guillaume Barbot est d’une belle subtilité et celui qui s’adresse au spectateur est à la fois et tour à tour, le comédien-interprète Jean-Christophe Quenon, Patrick Declerck et le clochard «universel».
Pour aborder un sujet dramatique, le spectacle ne se prive pas d’humour et après être passé par la salle Roland Topor du Rond-Point, il est fort possible qu’on ait un autre regard sur ces hommes et ces femmes perdus qu’on croise quotidiennement et dont on se souvient, certaines fois, avoir fui l’extrême puanteur.
Francis Dubois
Théâtre du Rond-Point 2, bis Avenue Franklin Roosevelt. 75 008 Paris.
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : Réservations 01 44 95 98 21
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