Dorante vient d’arriver de sa province à Paris. Il a abandonné des études de droit pour, dit-il, se consacrer au métier des armes. Ce qu’il veut surtout, c’est se faire une place dans cette « île enchantée » qu’est devenue la capitale. Pour cela il s’invente des exploits, il rêve en parlant. Il ment d’abord par vantardise puis pour se tirer des situations embarrassantes où il s’est mis par ses mensonges. Le valet d’Alcippe le caractérise à merveille : il est « vaillant par nature et menteur par coutume ». Il s’éprend au premier regard de Clarice, qu’il croit s’appeler Lucrèce et refuse la proposition de son père qui veut le marier à Clarice puisqu’il croit qu’elle est Lucrèce ! Mais il n’imagine pas que Clarice va à son tour lui tendre un piège en faisant passer sa cousine Lucrèce pour elle-même. Qui est qui, qui aime qui ? De mensonge en mensonge, Dorante s’embarque dans un véritable imbroglio qui va le mener à se résigner à épouser la véritable Lucrèce, qui s’est mise à l’aimer, tandis que Clarice épousera son ancien amoureux Alcippe.
Cette comédie de Corneille est souvent citée comme un modèle car elle mêle le comique de caractère, avec ce personnage de menteur s’enferrant dans des mensonges de plus en plus invraisemblables pour couvrir les précédents, le comique de situations, avec des successions de quiproquos et enfin le comique de mœurs. Corneille a écrit la pièce juste avant la Fronde et le triomphe de Louis XIV et on peut y voir un moment où le mensonge doit permettre de s’assurer le pouvoir. Dorante est jeune et fougueux. S’il ment c’est pour affirmer une position sociale qu’il n’a peut-être pas. Il s’invente des exploits guerriers, des réussites galantes, il est amoral et individualiste. C’est un véritable artiste du mensonge.
Julia Vidit a, tout en le respectant, un peu retravaillé le texte en donnant aux femmes plus de présence afin qu’elles ne soient pas uniquement l’objet du désir des hommes. Elle a ainsi fusionné le personnage de Lucrèce, quasi-muet dans la pièce, avec celui de sa servante. Quant à Clarice, elle lutte contre un mariage imposé, cherche à savoir qui est vraiment l’homme que son père lui destine et finit par enlever son corset pour se débarrasser de ce carcan qui la contraint.
La très belle idée de la metteure en scène est de couvrir de miroirs tout le fond de la scène. L’image des personnages s’y diffracte, s’y multiplie, jouant sur le trouble des identités. Les costumes mêlent les époques dans un foisonnement de couleurs. La distribution est malheureusement un peu inégale. Si Lucrèce n’est pas très convaincante, Barthélémy Meridjen incarne un Dorante fougueux qui invente au fil de son imagination pour paraître plus qu’il n’est et ment avec tant de conviction qu’il en devient séduisant ! Jacques Pieiller campe avec subtilité Géronte, le père de Dorante, en représentant de l’ordre ancien où la conduite de chacun doit obéir au code de l’honneur et où on ne doit pas mentir. Lisa Pajon enfin incarne Cliton, le valet de Dorante car, pour ajouter encore aux troubles sur l’identité, celui-ci est interprété par une femme. Mime et clown autant qu’actrice, elle excelle à jouer l’ébahissement devant l’énormité des mensonges de Dorante et à sembler s’en offusquer. Même si l’on a quelques réticences sur le jeu de certains des acteurs, tous nous font entendre à merveille les vers de Corneille et c’est un bel éclairage sur Le menteur qu’apporte Julia Vidit.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Théâtre de La Tempête
Cartoucherie
Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 28 36 36
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