Écrit entre 1928 et 1940, le célèbre roman de Boulgakov est un peu un OVNI dans la littérature mondiale. Tout d’abord il entremêle trois actions. La première se situe à Moscou, dans les années trente, où Satan se manifeste sous les traits du magicien Woland, accompagné entre autres de Béhémoth, un gros chat bavard. Il s’attaque à l’élite littéraire de la ville et à son syndicat, affirme, à l’encontre de l’athéisme régnant, que Jésus a existé et sème une belle pagaille dans ce petit monde littéraire qui termine à l’hôpital psychiatrique. La seconde action se déroule dans le roman qu’a écrit un jeune écrivain, le Maître, et se situe à Jérusalem aux côtés de Ponce Pilate. Celui-ci se découvre des affinités avec un dénommé Yeshua (le Christ), qu’il a par lâcheté laissé condamner. Le roman du Maître a été rejeté par la société des écrivains. Désespéré il brûle le manuscrit, se détourne de son amour pour Marguerite et se fait aussi interner. Dans la troisième action Marguerite accepte de devenir sorcière et de jouer la maîtresse de cérémonie lors du bal donné par Satan, avec l’espoir que celui-ci lui accorde de retrouver son amant.

Théâtre : Le Maître et Marguerite
Théâtre : Le Maître et Marguerite

Comment adapter ce roman fleuve qui peut être vu comme une allégorie philosophique, une œuvre morale ou comme une satire de la société soviétique et qui mélange les tons, passant de la farce au réalisme ? Igor Mendjisky dit avoir été fasciné depuis longtemps par ce roman sublime et chaotique, où le mythe de Faust télescope la crucifixion, où un poète fou dialogue avec un chat, où une jeune fille se transforme en sorcière pour retrouver son amant romancier, où les manuscrits que l’on brûle sont toujours là et surtout où la limite entre le bien et le mal n’a pas la simplicité du discours des Évangiles. L’adaptation est difficile ? Alors il faut oser, comme l’a fait Boulgakov, mêler le rêve et la vie, le conte fantastique, la tragédie antique et les absurdités de la bureaucratie, le réalisme et le burlesque, bref choisir la liberté.

Dans le dispositif trifrontal qu’a choisi Igor Mendjisky, on glisse avec fluidité d’une action à l’autre, on parle le français, le russe et même l’hébreu ou l’araméen, langues du Christ, le tout sous-titré (le français aussi !) ou traduit à mi-voix au micro. On passe de la lumière aux ténèbres, le mal télescope le bien. On chante, on danse, on vole même avec Marguerite qui, chevauchant son balai de sorcière, survole les vastes forêts et les fleuves russes sur la musique du Roméo et Juliette de Prokofiev. Woland lance un jeu de « qui veut gagner des millions ? » avec l’aide de quelques spectateurs, histoire de montrer que le désir de s’enrichir et la crédulité sont toujours là. Au bal de Satan, Marguerite doit sourire et danser avec des spectateurs qu’elle invite mais aussi avec les pires criminels, parmi lesquels on reconnaît entre autres Hitler et Staline.

Les acteurs de la Compagnie Les Sans Cou, qu’Igor Mendjisky dirige, jouent un rôle décisif dans la réussite du spectacle. Dans cette troupe très homogène, on retiendra particulièrement Romain Cottard qui incarne un Woland, bien séduisant pour un Satan de province, avec son sourire narquois, son humour ravageur, juste un peu cynique mais pas si mauvais que cela. La rondeur d’Alexandre Soulié convient bien à Béhémoth, le chat bavard et chafouin, dont la voix transporte les spectateurs à la fin et Esther Van den Driessche campe une émouvante Marguerite.

Les spectateurs sortent sonnés et ravis de ce voyage qui les a emmenés dans le monde à la fois tragique et burlesque de Boulgakov, un monde étrange et attirant où la liberté finit par triompher (peut-être dans un autre monde !)

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

Théâtre de La Tempête

Cartoucherie

Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 28 36 36


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