Nous avons salué à plusieurs reprises la qualité des créations au Théâtre du Chêne Noir, en particulier les mises en scène de Gérard Gelas, qui fut non seulement le créateur de ce Théâtre permanent et incontournable dans l’histoire comme dans le présent d’Avignon, mais l’un des concepteurs du Festival Off d’Avignon en 1968 avec André Benedetto : voir notre entretien pour son 50ème anniversaire publié dans l’US-MAG n° 781 du 22/9/2018 et sur ce site, le livre très documenté « Saltimbanque – Gérard Gelas ou le théâtre de l’inconfort » (André Baudin avec préface de Philippe Caubère, Ed. L’Harmattan, 11/2016) et notre présentation de la création de l’été 2021 : https://cultures.blog.snes.edu/publications-editions-culture/culture/evenements-culturels-festivals-grands-entretiens/asia-creation-emouvante-au-festival-davignon/.

Comme souvent, ces créations sont en lien direct avec l’actualité, l’adaptation théâtrale de textes inspirés du réel. Cette année Gérard Gelas, qui fut aussi souvent lui-même auteur, met en scène un texte de son fils Julien qui s’est d’abord fait connaitre comme musicien, compositeur et sinologue (traducteur de la pièce ‘’La fuite’’ du prix Nobel de Littérature Gao Xingjian, il écrit en Chine la première de ses 6 œuvres théâtrales, ‘’Station Liberté’’ mise en scène au Festival de Pékin 2016), avant de partager avec son père la direction du Chêne Noir puis d’en être pleinement directeur depuis 2020.

Comme Julien Gelas le déclare dans sa note d’intention, ce texte est inspiré de ce qu’il considère comme ‘’le président le plus insaisissable de la Vème république’’ après l’avoir regardé ‘’évoluer depuis le début de son mandat comme on regarderait un spectacle tragique et comique se faire et se défaire au gré des crises et des vicissitudes de la vie politique’’. Il ajoute : ‘’A moi à qui il arrive de me désoler de la façon dont les artistes ont déserté le terrain de la politique, il me semblait donc nécessaire d’aller me frotter à ce pouvoir à la fois éternel dans les intrigues qu’il répète depuis les premiers empereurs antiques, et tout à la fois si particulier à notre époque technologique et spectaculaire. Il fallait donc créer une fiction à partir de la réalité, une fiction qui vise à éclairer les mécanismes du pouvoir actuel, à nous permettre d’en rire et surtout de mieux le comprendre grâce au théâtre. « Le jeu du président » interroge avant tout, cette pièce n’est ni contre, ni pour, elle essaie de décrire et de montrer.’’

La fiction nous propose de pénétrer dans les coulisses du pouvoir, dans des périodes de tensions du premier quinquennat du président Emmanuel Macron, sur fond de manifestations de Gilets jaunes, puis de début de pandémie et d’errances de gestion de la crise sanitaire. Avec beaucoup d’humour, elle pousse à s’interroger sur la théâtralité réelle de déclarations présidentielles, comme sur les lieux de la décision politique, souvent bien loin de la représentation parlementaire nationale, par le ballet des conseillers, ministres et directeurs de cabinets et de leurs points de vue divers et parfois contradictoires.

Parmi les composantes fictionnelles les plus fortes du spectacle, il y a l’idée d’imaginer la nomination de la fille d’un de ses principaux conseillers, fraîchement diplômée de grandes écoles, auprès du président et à sa demande alors qu’il la sait farouche critique ‘’de gauche’’ à sa politique sur les ‘’réseaux sociaux’’. Par-delà les interrogations que peut susciter l’acceptation par ce personnage d’une telle fonction : candeur, crédulité ? d’une jeune opposante dans sa capacité à faire évoluer le président vers une politique plus sociale, écologique… la fiction pousse à questionner la réalité, particulièrement les capacités maintes fois mises en œuvre de ce président du quoi-qu’il-en-coûte à faire des déclarations fracassantes non ou faiblement suivies d’effets, ayant pu séduire en diverses occasions des militants (notamment politiques écologistes, socialistes… entrés au gouvernement) qui ont cru aux bonnes intentions et se sont heurtés au mur des choix économiques et politiques au bénéfice des puissants en France comme à l’étranger (en s’en accommodant ou en disparaissant avec plus ou moins de dégradation de leur image et de théâtralité)… Un pas en avant 2 pas en arrière comme une ritournelle mais aussi un grand classique du jeu politique à travers l’histoire…

Ce rôle de jeune conseillère promue aux plus hautes fonctions, avant une chute brutale, est remarquablement interprété par Andréa Brusque, au passé théâtral important, y compris de mise en scène (ayant assuré dès 2014, déjà au Chêne Noir, celle de la pièce de Gao Xingjian traduite par Julien Gelas), tout comme l’est également l’interprétation d’Alain Leempoel dans le rôle du président Macron, qui présente une ressemblance saisissante avec son personnage (comédien ayant aussi une activité de mise en scène, très réussie également dans ce festival : voir notre présentation). Est également très réussie l’interprétation par Didier Brice du rôle de principal conseiller. Gérard Gelas a choisi une ‘’formidable équipe’’ d’acteurs, y compris dans des rôles qui, même de second plan, contribuent tous dans les moindres détails à la réussite des situations comiques et tragiques interrogeant globalement la relation presque intemporelle au pouvoir (David Talbot, Emmanuel Lemire, François Brett).
Le jeu des artistes est particulièrement important du fait du minimalisme des décors et des lieux de l’action, limités au bureau présidentiel et à une pièce de l’appartement du conseiller et de sa fille.

Même réduit, ce décor est aussi habilement signifiant par de multiples composantes, comme cet immense miroir derrière les dorures d’une des 2 portes de placards du bureau présidentiel, connotant le narcissisme entretenu des occupants du palais présidentiel, le ‘’Je’’ comme dominante du jeu.

Une création amenant à prendre du recul sur le quotidien et les réalités dont les conséquences ne sont pas qu’un jeu… poussant avec pertinence et humour chaque spectateur à interroger le rapport des puissants au pouvoir et à l’image dans notre monde d’aujourd’hui.
Philippe Laville

Théâtre du Chêne Noir
8bis rue Ste-Catherine, 84000 Avignon
Représentations à 17h15 chaque jour (https://www.chenenoir.fr/event/le-jeu-du-president-3-2/ ; Extraits : https://youtu.be/lWqqi5tA9uo.
 14 autres spectacles sont accueillies chaque jour pendant le Festival, pour la plupart des créations ou premières à Avignon, dont 2 autres créations du Chêne noir (en particulier ‘’Lettres à un ami allemand’’ d’Albert Camus, adaptation et mise en scène de Julien Gelas, chaque jour à 11h45, et ‘’Les chaises’’ d’Ionesco dans une mise en scène de Renaud Gillier), et 3 autres en coproduction avec le Chêne Noir (dont également une autre mise en scène de Gérard Gelas ‘’Un amour de Blum’’ de Gérard Savoisien, chaque jour à 13h30).
Réservations : www.chenenoir.fr ou 04 90 86 74 87

Photo du président avec son conseiller : Anna Meynard

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