C’est une des pièces les plus jouées de Marivaux, si subtile et si moderne sous une apparence très simple, l’histoire d’un mariage arrangé. Sylvia voudrait bien savoir qui est réellement Dorante, le mari que son père lui destine. Elle demande donc à sa servante Lisette d’échanger leurs rôles pour juger des qualités de ce prétendant. Elle en avertit son père, M. Orgon, qui de son côté a reçu une lettre du père de Dorante lui annonçant l’arrivée de son fils, qui a eu la même idée et a échangé son rôle avec celui de son valet Arlequin. M. Orgon décide de garder le secret. Sous son regard amusé et celui de son fils, Mario, les quatre amoureux vont se débattre sous leurs fausses identités pour tenter d’être aimés pour ce qu’ils sont, en dépit des conventions sociales.
Marivaux, comme d’habitude nous parle de désir, d’amour et de mensonge mais il en profite pour éclairer ce que les comportements amoureux doivent aux différences des positions sociales et évoquer le début d’émancipation des femmes, leur désir d’être entendues et aimées. Pour autant au final des trois actes si ce mariage arrangé se transforme en mariage d’amour, rien n’aura fondamentalement changé. Chacun et chacune épousera celui que la société lui destinait. Du côté des valets l’espoir de s’élever de sa condition par le mariage est déçu, du côté des maîtres la crainte de déchoir en épousant quelqu’un d’une condition inférieure est écartée. Pour Marivaux cela allait de soi. Aujourd’hui Marx et Bourdieu étant passés par là, on peut y lire une vision assez pessimiste de la société. On n’échappe pas à sa classe. Sous des dehors un peu libéraux les rapports entre maîtres et domestiques sont loin d’être égalitaires et l’apparence libérale les rend parfois encore plus cruels. Marivaux n’est pas un révolutionnaire, mais ce qu’il révèle de l’égalité entre les classes et surtout la place qu’il donne aux femmes en fait un auteur étonnamment moderne.
C’est la première fois que Benoît Lambert, le directeur du Théâtre Dijon Bourgogne monte Marivaux. Comme il est engagé dans la formation des jeunes comédiens il a saisi cette occasion pour offrir des premiers rôles à quatre jeunes acteurs, deux garçons et deux filles, tout juste sortis de formation. Et le résultat est superbe. L’enthousiasme des lycéens dans la salle en témoigne.
La scène se partage entre une pelouse et des arbustes, rappelant le goût des jardins typiques du XVIIIème siècle, et une sorte de cabinet de curiosité emplis d’objets divers, aussi désordonné que les sentiments qui animent les quatre jeunes gens. Ce vaste espace favorise les arrivées impromptues et offre aussi un poste d’observation à demi-caché à Monsieur Orgon et Mario, le père et le frère de Silvia au courant de tous les déguisements depuis le début, qui se plaisent à relancer le jeu et à le compliquer. Pour ces deux rôles Benoît Lambert a fait appel à deux comédiens plus âgés. Robert Angebaud est Monsieur Orgon qui, sous ses dehors bonhomme et libéral laissant à sa fille le choix de décider si elle est prête à se marier avec Dorante ou non, est en fait plus retors et ne semble pas mécontent de lui donner une petite leçon. Quant à Etienne Grebot il donne à Mario tant de plaisir à se jouer de Silvia et de Lisette qu’il en devient un peu inquiétant et cruel. Tous deux donnent à leur personnage une épaisseur inhabituelle. Le quatuor des amoureux est parfait. Malo Martin emporte le rire en Arlequin qui joue au maître, faisant des courbettes avec emphase, mais sait aussi émouvoir en amoureux qui ne sait plus comment se sortir de cet imbroglio. Antoine Vincenot est un Dorante hésitant entre les élans de son cœur et l’engagement de son père qui a prévu un mariage selon son rang. Marivaux a surtout offert la part belle aux femmes et les deux actrices excellent ici. Edith Mailaender donne à Silvia son caractère bien trempé. En robe blanche, elle dit toute la méfiance qu’elle a envers le mariage et la fourberie des hommes. Avec la petite robe noire de sa servante, elle montre une détermination sans faille pour obtenir que Dorante se rende et lui demande sa main alors qu’il la prend pour la soubrette. Subrepticement elle serre les poings semblant presque dire « yes » quand elle obtient ce qu’elle veut ! Rosalie Comby est une Lisette touchante avec sa jolie robe à fleurs et ses talons. Jamais ridicule dans son déguisement de maîtresse elle arrive à résister et à rester digne. Quand elle part au bras d’Arlequin, sa petite valise à la main, on pense à Charlot et sa bien aimée à la fin des Temps modernes et c’est très émouvant.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h le dimanche à 16h
Théâtre de l’Aquarium
La Cartoucherie
Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 74 72 74
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