Voici un autre regard -pas contradictoire – sur la pièce « interview », déjà critiquée ici : 31355 :
Réussie, une interview peut faire sortir des moments de vérité qui marquent celui qui l’écoute, et elle peut être un intéressant objet théâtral puisqu’elle est toujours dialogue. C’est ce qu’a pensé Nicolas Truong. Pour Interview il a fait parler des interviewers connus, Edgar Morin et Jean Rouch, Jean Hatzfeld, Florence Aubenas, Claudine Nougaret et Raymond Depardon. Pour Edgar Morin, par exemple, un entretien réussi est celui où l’interrogateur parvient à créer chez la personne interrogée le duende, ce moment où le danseur de flamenco sort de lui-même, comme possédé. Florence Aubenas dit que les meilleurs interviewers sont les enfants, car eux posent les questions pour obtenir une réponse ! Elle dévoile aussi clairement le travail de casting que font les journalistes pour choisir qui parlera dans les banlieues en pleine émeute ! Nicolas Truong reprend quelques extraits d’interviews célèbres comme celle de Marguerite Duras dans l’émission de Bernard Pivot, mais l’essentiel est dans la parole des interviewers. Une interview réussie peut passer par l’acceptation de silences qui parfois ouvrent la voie à des moments de vérité inattendus. La réussite peut naître de la complicité mais aussi parfois de l’agressivité de l’interviewé. C’est la petite alchimie des rencontres qui est à l’œuvre.
Pour porter la parole des interrogateurs et de ceux qu’ils interrogent, Nicolas Truong a choisi deux de ses complices favoris, ses collaborateurs artistiques ainsi qu’il les définit, Judith Henry et Nicolas Bouchaud. Tour à tour interviewer et interviewé, ils transposent ces entretiens mythiques, qui deviennent des moments drôles, vivants où les hommes et les femmes se dévoilent. Face à nous ou dialoguant, ils expriment la surprise ou la réflexion. Brusquement l’indicatif d’Apostrophes nous ramène aux grands entretiens de Bernard Pivot. C’est sur fond d’écrans dévoilant des images de La vie moderne et de Les habitants que Judith Henry porte la parole de Claudine Nougaret définissant son travail avec Raymond Depardon comme celui « d’anti-interviewer » !
Interview nous fait traverser les pays et les époques, de la France des années 50 à celle d’aujourd’hui, du Rwanda à la Yougoslavie. Il nous fait surtout sortir de la parole banalisée, du bavardage qui emplit radios et télévisions et rappelle qu’il faut du temps pour permettre à la pensée de devenir parole. Un spectacle intelligent et réjouissant porté par deux acteurs avec qui on se sent en parfaite empathie.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h30. Relâche les lundis
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 95 98 21
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