On n’entend plus beaucoup de théâtre algérien sur nos scènes. Pourtant les printemps arabes, qui ont démarré en réaction à l’immolation par le feu du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi, après que la police lui a confisqué son étalage de fruits et légumes, ont rallumé l’intérêt pour la révolte d’une jeunesse contre des politiques corrompus et incompétents qui s’accrochent au pouvoir année après année. Le metteur en scène Kheireddine Lardjam, qui travaille aussi bien en Algérie qu’en France, a passé commande au dramaturge, romancier poète et journaliste Mustapha Benfodil, pour donner la parole à cette jeunesse qui n’a plus que sa vie à donner pour manifester sa détresse et sa colère et pour qui l’immolation devient la manière la plus spectaculaire de le faire.
Nous sommes dans la morgue d’une petite ville, Balbala. Dans les tiroirs où s’alignent les cadavres, Moussa, ingénieur devenu « nécrologue » faute d’autre possibilité, voit passer toutes les histoires de la ville, les victimes des règlements de compte liés à la drogue ou au trafic d’organes, les Subsahariens venus s’échouer là. Il prépare un livre avec son copain Aziz, qui dénonce, à longueur de blogs et de vidéos volées, la corruption et les maux qui gangrènent la ville et qui va passer pour la énième fois en procès. Mais cette fois c’est Aziz qui est dans le sac qui arrive à la morgue.
La pièce nous dit ce qu’est ce monde mais avec de la distance, de l’humour, une dose de cynisme, de la rage, de l’ironie, de la poésie aussi. Azzedine Bénamara est Moussa. Dans cette morgue froide, seul un mur où il affiche les articles sur les faits divers de la ville et une radio apportent un semblant de vie. Et il y a la voix de Moussa qui raconte avec humour la chronique de cette ville et de ses habitants. Dans son dictaphone, il fait entendre la voix rageuse d’une jeunesse fauchée en plein vol, qui n’a plus aucun espoir, coincée entre des diplômes qui ne garantissent aucun emploi, une religion envahissante et hypocrite et une corruption généralisée. Il dit une société bloquée où les fils reprochent à leurs pères leur silence et leur résignation et où certains ne voient plus qu’une porte de sortie, « affronter le feu plutôt que vivre en enfer ». Aux autres restent un humour corrosif et la rage. Un spectacle fort porté par un acteur habité.
Micheline Rousselet
Lundi et mardi à 19h15, dimanche 15h
Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 48 06 72 34
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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