Une mère et sa fille ont assisté à la représentation d’une pièce de théâtre d’un jeune auteur, Sauve qui peut . La fille a aimé et applaudi. Dans un premier temps la mère a trouvé que « le texte ne montrait que la saleté », mais ensuite elle a, elle aussi, applaudi et elle a accompagné sa fille pour rencontrer l’auteur. Brusquement elle a invité l’auteur à les accompagner dans leur maison au bord de la mer, à Katwijk, et à sa grande surprise, il a tout de suite accepté. Les deux femmes sont rentrées chez elles et la fille a commencé à préparer les bagages, tandis que sa mère commentait la rencontre tout en lui donnant des ordres.
Cette pièce écrite en 1981 renvoie un peu à la vie de Thomas Bernhard et aux personnages qu’il aime mettre en scène. La mère est une bâtarde, dont le père était un clown miséreux. Elle a été une jeune fille inculte qu’un homme a demandé en mariage, en lui parlant de la fonderie dont il était propriétaire et de sa maison au bord de la mer, ce qui l’a séduit, elle qui n’avait jamais vu la mer. Avec cruauté, cynisme, méchanceté elle raconte à sa fille sa relation avec cet homme, sa haine pour son premier enfant – très laid avec un visage de vieillard – et qui a eu le bon goût de mourir vite. À cette fille elle dit «Tu es faite pour moi, je t’ai mise au monde pour moi, tu m’appartiens de la tête aux pieds». Sa fille, tel un oiseau hypnotisé, accepte cette mère monstrueuse, égoïste, égocentrique, incapable d’aimer et supporte en silence ses critiques et ses remarques vexantes. Au delà de la relation mère-fille, le soliloque de la mère, avec sa haine des ouvriers qui cherchent à «la rouler», son dégoût pour un mari qu’elle méprisait, nous entraîne auprès de ces personnages que Thomas Bernhard aime tant à décortiquer. Une fois dans la villégiature de bord de mer en compagnie du jeune auteur, la mère va poursuivre, dans cette veine de cruauté lucide, avec des jugements sur le théâtre, les jeunes auteurs et leur arrogance. Elle dit « Il ne nous a vues que quelques heures et il tirera de nous tout ce qu’il peut », mais à l’auteur elle dit aussi «Vous écrivez, bien que vous sachiez que vous ne pouvez pas changer la société. Tous les écrivains échouent».
La mise en scène de Christophe Perton place mère et fille dans un univers assez sombre, qui s’éclairera de quelques voiles blancs aux fenêtres quand la pièce se déplacera dans la villégiature, sans que pour autant les propos de la mère s’adoucissent.
Dominique Valadié est cette mère intarissable, corrosive, tout sauf aimable. Assise, elle exerce une autorité impérative. Sa voix mélodieuse contraste avec ses propos cinglants si éloignés des conversations lénifiantes sur l’amour ou sur le théâtre. Tranquille, d’un ton calme, elle énonce des vérités dérangeantes («C’est avec moi-même que je me divertis le mieux, les autres me dérangent») et n’hésite pas à dire des horreurs à sa fille. Elle ne lâche rien, elle est formidable et sa présence domine la pièce. Pourtant Léna Bréban arrive à faire exister le personnage presque muet de la fille. Elle ne la cantonne pas à quelques répliques, où son enthousiasme naïf est immédiatement anéanti par sa mère. Ses regards et à un moment son rire cinglant révèlent sa lucidité sur les faiblesses de sa mère. Un grand moment de théâtre.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 50 60 67
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