Au Brésil, dans la région de Pernambuco, toute la population du village de Toritama vit pauvrement de la fabrication de jeans. Chaque année plus de 20 millions de pantalons y sont produits dans de petites unités de production. Les habitants du pays travaillent sans interruption et sont satisfaits de leur sort avec l’impression d’être maîtres de leur temps.

Pourtant pendant toute l’année ils attendent le carnaval, le seul moment de répit dans une existence laborieuse puisque le village est privé de cinéma, de bibliothèque et tout autre lieu de détente, de loisir ou de culture.

Pour profiter à plein de ce festival tant attendu, il leur arrive de vendre ce qu’ils possèdent de plus utile ou de plus précieux sans le moindre regret.

Le moment venu, ils fuient vers les plages à la recherche d’un bonheur éphémère.

Les souvenirs de la famille de Marcelo Gomes sont liés à cette région. La rue qu’ils habitaient représentait un petit morceau de l’Agreste. Les mêmes histoires circulaient, la nourriture était tous les jours la même, on y perpétuait sans s’interroger les mêmes traditions.

Quand il prend connaissance de l’existence de la ville de Toritama, Marcelo Gomes découvre à quel point sa population est attachée au carnaval. C’était la période que la plupart des habitants choisissait pour prendre des vacances et non seulement ils consacraient à cette courte période leurs économies mais ils vendaient de nombreux objets pour arrondir leur pécule.

C’est alors qu’est venue à Marcelo Gomes l’idée de faire de ce phénomène le sujet d’un film.

En approfondissant ses recherches, il découvre les usines d’arrière-cour qui lui font penser à l’Angleterre du XIXème siècle mais à la différence de ce qui se passe en Angleterre, ces pratiques représentaient non pas le passé avec la perspective d’une amélioration des conditions de vie, mais l’avenir.

Dans les années 80, la ville de Toritama disposait d’une bibliothèque, d’un orchestre, de festivités religieuses et autres distractions. Cela n’existe plus.

Mais sa plus grande surprise allait venir des réponses des habitants de Toritama quand Marcelo Gomes leur posait la question à propos de leurs conditions de travail. La réponse unanime fut que celles-ci étaient bonnes et qu’ils étaient satisfaits de leur sort, de leurs conditions de travail et des conditions de vie qui en découlent.

C’est là que le réalisateur découvrait à quel point le néolibéralisme avait été efficace quand il réussissait à « vendre » ses dogmes et qu’il faisait de ces hommes et de ces femmes les témoins et les complices inconscients du capitalisme triomphant.

A aucun moment les gens ne considéraient qu’ils étaient des victimes, des travailleurs exploités.
Dès lors il fallait tirer une conclusion : une situation aussi radicale que celle de Toritama devenue exemplaire au Brésil allait conduire à la concrétisation du projet néolibéral qui souhaite implanter sa vision dans tout le pays.

Allons-nous tous vivre à l’avenir dans un Toritama à une grande échelle : même si, en apparence nous serons libres et capables d’occuper son temps à sa guise, nous allons être réduits à une sorte d’esclave de soi.

Quand on aura assisté à la projection du film de Marcelo Gomes, on ne s’étonnera pas du résultat des dernières élections présidentielles au Brésil, en Turquie ou aux États-Unis.

Terrifiant…

Francis Dubois

 « En attendant le Carnaval » Un film de Marcelo Gomes (Brésil), sortie en salles le 7 octobre 2020.


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