Un couple s’interroge. Lui dit « ma vie est un frigidaire vide… pas vide mais rempli de yaourts périmés et de beurre rance… rien qui donne envie ». Pourquoi ne parviennent-ils pas à être heureux ? Pourtant ils devraient l’être car, dans nos sociétés, ne pas afficher son bonheur est regardé avec suspicion, comme un défaut. Qu’est-ce qui cloche chez eux, défaut d’avoir, défaut d’être ? Est-ce congénital, que faut-il changer ? Après s’être beaucoup interrogé, le couple décide d’aller voir les voisins du dessus, si agaçants avec leur air toujours heureux. Ceux-ci leur conseillent de méditer, d’explorer leur intériorité, de prendre le temps de s’écouter. L’esprit critique de Elle et Lui (ils n’ont pas de nom) disparaît assez vite, ils se laissent convaincre et … le bonheur est là. Le rêve est devenu réalité, mais pour combien de temps ?
Côme de Bellescize continue à s’attacher aux nouvelles injonctions sociales. Dans Soyez vous-mêmes il faisait un tableau corrosif de l’authenticité dans la vie professionnelle. Là il s’attache à la recherche du bonheur devenue à la fois image et condition de la réussite sociale dans nos sociétés, d’où les kilomètres de rayons consacrés au développement personnel dans les librairies et la multiplication des experts du sujet. Il y a du Harold Pinter dans ce regard sans indulgence sur la vacuité de la société bourgeoise et l’horreur cachée du monde moderne exposée avec un humour qui mène, comme chez Pinter, du ton de la comédie corrosive à la bouffonnerie, à l’absurde et au féroce.
Côme de Bellescize a placé ses personnages dans un espace clos, sans porte, sans passage. C’est mentalement que l’on sait que l’on est dans un appartement ou dans l’autre, dans une atmosphère de sérénité très normée par les règles du feng-shui. Il semble bien y avoir un extérieur, une terrasse où les personnages vont sans hésitation jeter des raisins secs imbibés d’alcool aux oiseaux, s’amusant de les voir ivres se jeter sur les baies vitrées. Tout va bien, le désordre semble rester à l’extérieur !
Les personnages n’ont pas de nom. Les quatre acteurs qui les interprètent sont remarquables. David Houri est Lui, abandonnant au fil du temps son air en colère pour une certaine béatitude. Coralie Russier est Elle, yeux écarquillés de surprise quand son époux lui « révèle » qu’ils ne sont pas heureux et très vite enthousiaste en écoutant les conseils des Voisins. Vincent Joncquez est Le Voisin convaincu d’avoir trouvé le Graal. Eléonore Joncquez est La Voisine extraordinaire dans son numéro de maître es méditation. Elle peut tout de suite ouvrir une officine de conseils en développement personnel, la clientèle ne peut que suivre !
Pour ces experts en bonheur « la recette c’est de se rendre étanche aux malheurs du monde pour explorer son intériorité » (Côme de Bellescize), mais qu’y a-t-il à découvrir dans cette intériorité portée au pinacle ? Follement drôle, cruel et lucide, un régal !
Micheline Rousselet
Spectacle vu dans une représentation réservée aux professionnels au Théâtre Jacques Carat de Cachan – Tournée liée à l’évolution de la situation sanitaire – Reprise au Festival d’Avignon off 2021 au Théâtre des Béliers
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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