Il est des auteurs qui se font oublier. Il suffit d’un rien – mais ce rien demanderait beaucoup d’explications – pour qu’ils reviennent dans l’actualité. C’est le cas de Paul Valéry.

Dans un livre récent, « Désastres urbains », Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, ouvre son avant-propos, « Du bon usage de la digression », par une référence à Paul Valéry : « Tout ouvrage possède, avoué ou non, un mode d’emploi, qui peut-être, selon Paul Valéry, modifié ou détourné par le lecteur… » Dans cet ouvrage, sous titré « Les villes meurent aussi », il effectue un passage entre descriptions – les grands ensembles, centres commerciaux, gratte-ciel, « gated communities » et « grands projets » – et théorisations sous la forme de digressions, d’un mode d’emploi étrange qui permet toutes les interrogations, toutes les ouvertures. Paul Valéry fut aussi un observateur attentif de son temps, pertinent même s’il a voulu rechercher les honneurs et entra à l’Académie française. L’homme à la moustache et à la rosette de la légion d’honneur était aussi resté un provincial malgré son apparence et les apparences.

Il était né à Cette (aujourd’hui Sète) le 30 octobre 1871. L’effondrement de l’Empire, la défaite militaire, l’Occupation allemande et, surtout, la Commune de Paris marquent le contexte. Paul Valéry se fera poète dés sa vingtième année. Il sera reconnu comme tel très vite. Ses amitiés avec Pierre Louÿs d’abord, André Gide ensuite, sa fréquentation de Mallarmé et d’autres célébrités lui ouvriront beaucoup de portes. Mais il se trouve empêché de vivre sa passion – comme Stendhal – par l’angoisse de « gagner sa vie » pour nourrir sa famille. Pendant 20 ans, il ne publiera pas donnant à ses cahiers l’essentiel de ses réflexions. Et des lettres qu’il écrit à ses amis, à ses amours, à sa femme. Lettres fondamentales qui donne la mesure à la fois de son talent, de sa capacité à trouver le ton qu’il faut, de ses doutes, de ses incapacités – notamment à conclure, il lui faut l’urgence pour « boucler » -, de ses questionnements mais aussi, indéniablement, de son empathie avec son destinataire.

Benoît Peters lui consacre une biographie étrange. « Une vie » est déjà un titre qui interroge. Son premier chapitre : « Pourquoi Valéry » vaut, à lui seul, le détour. Son objectif, atteint il faut le dire, c’est de donner envie d’aller voir chez Valéry pour retrouver un prosateur étonnant capable de conter avec des concepts et d’intéresser. Ses « Cahiers » qui n’ont pas encore trouvé de « présentateur-e » efficace, recèlent des réflexions sur des grands sujets de la littérature, de la création.

A la fin de cette « vie », se dessine un personnage aux multiples facettes comme chacun-e d’entre nous. « Anti-dreyfusard » au moment de la parution du « J’accuse » de Zola, il choisit le mensonge pour sauver la nation, l’État face à la Justice. Pierre Louÿs ne sera pas de ceux là, André Gide, comme à son habitude, tergiversera.

Benoît Peters dresse surtout le portrait « littéraire ». Une sorte de bilan des publications connues et pas encore publiées. Ses poésies, trop construites, trop de leur temps, trop liées à Mallarmé – qui lui vieillit peu, l’hermétisme lui permet de durer – ne résistent pas à l’usure du temps. Par contre sa prose reste présente. Pas seulement cette invention que fut M. Teste, que Breton avait tendance à confondre avec Paul Valéry mais aussi des réflexions qui, inactuelles au moment de leur parution, titillent notre actualité.

Curieuse biographie disais-je par son jeu entre la chronologie pure et dure et des chapitres thématiques, comme un jeu de miroirs que n’aurait pas détesté le destinataire, Paul Valéry, de cet envoi. Une sorte de dialogue au-delà de la mort pour faire revivre un penseur nécessaire.

Nicolas Béniès.

« Désastres urbains. Les villes meurent aussi », Thierry Paquot, La Découverte, Paris 2015.

« Paul Valéry, Une vie », Benoît Peters, Champs/Biographie.

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