James Lee Burke fait une nouvelle fois la preuve qu’il est un des grands écrivains du Sud des États-Unis, un Faulkner contaminé par le polar pour faire éclater la réalité du monde. « Les jaloux » pose un adolescent, Aaron Holland Broussard, dans l’environnement du boom du pétrole – le film « Geant » avec James Dean et Rock Hudson le décrit aussi – qui a généré d’énormes fortunes, de la mafia toute puissante, la surexploitation des Mexicains et une police qui semble impuissante, un racisme endémique. Les souvenirs des deux guerres sont encore présents pour le père du jeune homme qui noie sa mélancolie dans l’alcool alors que la mère se réfugie dans une dépression chronique. En arrière fond, comme toujours chez Burke, s’agitent les fantômes de la guerre de Sécession (1861-1865). Le magnat du pétrole – le fils vit une adolescence difficile – est lié à la fois à la mafia et aux groupes néo-nazis qui fleurissent à cette époque, celle de la « chasse aux sorcières ». Le père du grand amour de Aaron – Valérie Epstein – est vraisemblablement de gauche, « Communiste » disait-on pour dénoncer, habité par un code moral sans faille.

Burke rejoue la deuxième guerre mondiale entre fascisme et démocratie sur le terrain individuel pour mettre en scène une Amérique qui n’a pas la mémoire de la Shoah et se laisse envahir par les ténèbres.

C’est un roman de l’apprentissage tout en étant une plongée sociologique et historique dans ce monde dont les États-Unis ne parviennent pas à se séparer. Il n’est que de voir et d’entendre Trump pour comprendre la réalité présente de ce passé pour l’instant indépassable. Il reste un ancrage pour une partie de l’Amérique submergée par l’écroulement de leur monde et par la disparition de tous les repères. Le grand art de Burke fait ressentir ces mouvements à travers les destins de ces adolescents et de leur confrontation, entre amitié, haine et l’organisation de la société qui voudrait les broyer pour s’éviter de bouger, de changer.

Nicolas Béniès

« Les jaloux », James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Rivages/Noir


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