En dix ans de règne républicain de 1959 à 1969, Charles de Gaulle, à la tête de la Ve, costume constitutionnel taillé sur mesure, a présidé quarante-trois soirées de gala pour honorer un hôte étranger ou bien au profit d’un organisme de charité ou encore pour le « bon plaisir du prince », la plupart à l’opéra mais un bon quart au théâtre. La première de celles-ci eut lieu le 21 octobre 1959 pour inaugurer ce qui deviendra un haut lieu de la scène française, l’ancienne Salle du Luxembourg refaite et rebaptisée « Odéon – Théâtre de France ». André Malraux, grand architecte de la première « politique culturelle de la France», en était bien sûr le parrain et le maître de cérémonie. Ce soir-là, Jean-Louis Barrault à la tête du nouveau théâtre qui deviendra en 1990 « Théâtre de l’Europe », montait en accord avec le ministre, Tête d’or de Paul Claudel, une pièce sur la passion du pouvoir et la ruine de soi qu’elle peut engendrer. Toute ressemblance… etc. La distribution était jeune mais promise à la célébrité, Barrault lui-même jouait au roi devant le président accompagné d’Alain Cuny, de Laurent Terzieff, de Catherine Sellers et de Jean Desailly, dans un décor d’André Masson et une musique d’Arthur Honegger adaptée à la scène par Pierre Boulez. Excusez du peu ! De Gaulle appréciait Claudel mais parmi le millier d’invités, beaucoup partirent à l’entracte. Pourtant la presse salua le spectacle autant que l’événement.

C’est par ce récit que commence le surprenant livre d’André Désiré Robert, socio-historien de l’éducation et chroniqueur de théâtre au mensuel L’Ours. À la manière de Geneviève Latour qui en 1995 publiait Théâtre, reflet de la IVe République, l’auteur se lance dans l’examen de quarante-trois ans de « théâtre des présidents » de la Ve République, de de Gaulle à Macron en passant par Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande.

Le livre d’André Désiré Robert nous surprend en effet par la somme considérable d’informations sur les pièces, leur réception critique ou le contexte de leurs représentations face aux élus eux-mêmes en représentation. Éléments d’histoire politique et culturelle, prisme singulier d’analyse du théâtre français sur une soixantaine d’années, notices sur les pièces, collections d’extraits de chroniques théâtrales, photographies, dessins de presse, etc., ce livre est un îlot insolite que l’on prend plaisir à parcourir dans tous les sens ! L’ouvrage peut aussi bien être lu chapitre après chapitre que par des chemins croisés à partir de son index exhaustif en suivant les auteurs, les politiques, les critiques sur la drôle de scène du « théâtre des présidents ».

Loin d’un essai sur la politique-spectacle, l’objet du livre est de traiter historiquement la façon dont les gouvernants se divertissent de la politique en se donnant plus ou moins en spectacle, salles de prestiges comme l’Opéra Garnier ou populaires comme Chaillot ou la Colline. Des surprises attendent le lecteur pratiquement à chaque page comme l’originalité d’un Pompidou qui au lieu d’aller au théâtre préférait faire venir le théâtre à la maison, c’est-à-dire l’Élysée – on pense à Louis XIV faisant venir Molière à Versailles. Mitterrand, le plus « littéraire » des présidents de la Ve n’hésita pas, lui, à se déplacer au Festival d’Avignon le 10 juillet 1981, devenant ainsi le premier président à s’y rendre depuis sa création. François Hollande s’y rendit également le 14 juillet 2012 mais ce président si « normal » était, au contraire de ses prédécesseurs, un habitué du In comme du Off. Quant au locataire actuel de l’Élysée, on sait que c’est sur les planches d’une scène scolaire qu’il rencontra la future « première dame » en la personne de sa professeure d’art dramatique. On apprend que le goût de la représentation l’avait fait s’inscrire au cour Florent durant son année de khâgne et qu’à l’ENA, il donna à son tour, des cours de théâtre. Pas étonnant que le soir de son élection de 2017, le « jeune premier » de la Ve passa à la mise en scène ! Au lendemain de 2027, peut-être croira-t-il se réveiller d’un long rêve ? Alors pourquoi pas la Cour d’Honneur du Palais des Papes dans le rôle du Prince de Homburg dans les pas de Gérard Philippe !

Le livre ne soutient pas de thèse générale sur la politique et le théâtre, ni particulière sur chaque président. En revanche, l’auteur constate que le gala et la « politique au spectacle » ont disparu au profit de l’usage privé, du non-usage ou parfois de l’instrumentalisation de la sortie présidentielle au théâtre. André Robert nous rappelle par exemple que le soir du 6 mars 2020, dix jours avant le premier confinement, le couple Macron se montra au Théâtre Antoine en tentant de rassurer le pays sur une situation sanitaire déjà bien dégradée. La pièce ? Par le bout du nez… ça ne s’invente pas ! La politique confine parfois à la farce…

Un grand bravo doublé d’un immense merci à l’auteur !

Jean-Pierre Haddad

Le Théâtre de présidents, Présidents de la Ve République et représentations théâtrales (1959-2022), André Désiré ROBERT, Le Rumeur Libre Éditions, Paris 2023


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