Zazous ? Un mot, évocateur, fait surgir des silhouettes, notamment celle de Boris Vian, un grand maître de la confrérie. Un mythe ? Une réalité ? Qui étaient-ils ces révoltés ? Gérard Régnier, spécialiste de l’histoire du jazz pendant l’Occupation – c’est sa thèse – a voulu, sur la base de la presse de l’époque, comprendre le phénomène en l’inscrivant dans son contexte. « L’histoire des Zazous » est une histoire de résistance individuelle, de contestation des ordres établis, de ruptures adolescentes. Le mouvement zazou, lui et les preuves abondent, est une reconstruction, manière d’excuse pour cette jeunesse absente des affrontements politiques structurants du 20e siècle. Ainsi en est-il des manifestations zazoues, une pure et simple invention. La plus connue, la plus diffusée : celle du port collectif de l’étoile jaune lorsque les autorités l’ont imposée aux Juifs de France , avec une inscription « swing ou autre ». L’auteur montre qu’elle est restée très minoritaire. Une réaction plus individuelle que collective.
Les légendes ont la vie dure et sont plus belles que la réalité. Fallait-il pour autant écrire la légende ? Gérard de Cortanze l’avait fait dans son roman – fort bien renseigné par ailleurs – au titre éponyme. Le souvenir de ces jeunes gens – Régnier prétend que les jeunes filles n’avaient pas forcément droit à la parole et leur habillement frisait quelquefois le ridicule – envahit la réalité pour offrir une romance nécessaire aux jeunesses des temps d’après.
Régnier fait d’ailleurs la part belle à la première œuvre de Bison Ravi, « 100 sonnets », sorte de chronique vianesque de la période de l’occupation qui vient corroborer les documents rassemblés pour offrir une autre vision de la résistance supposée des zazous. Il permet de comprendre pourquoi ces bandes bénéficiaient d’une relative compréhension de la part des autorités, mal à l’aise pourtant avec elles.
Une analyse intéressante qui permet d’illustrer les archives et les citations de la presse collaborationniste, un peu pénibles quelques fois. La couverture reproduit une caricature de la presse – « Jeunesse » en l’occurrence – de l’époque.
Boris Vian l’avouera, plus tard, le contexte politique lui échappait. Il dira regretter de ne pas avoir fait de politique, lui qui trônait en compagnie de Michelle – vraisemblablement le grand amour de sa vie – au Pam Pam et organisait les surprises parties à Ville d’Avray.
Ces zazous, reconnaissables à leur accoutrement bien décrit par Johnny Hess, étaient-ils seulement parisiens ? Régnier indique d’abord que plusieurs groupes se partageaient cette appellation, issue d’une tournée de Cab Calloway en Europe, fin des années 1930, dont la chanson fétiche était « Zah Zou Zah Zou Zeh », avec des sièges sociaux – des cafés – différents. Il semble, nous dit-il mais les documents manquent, qu’ils étaient présents dans d’autres ville de France si l’on en croit les témoignages de Johnny Hess (jusqu’en 1942) ou de Charles Trenet mais aussi de bulletins du Hot Club de France. Les zazous bruxellois sont plus documentés même s’ils sont oubliés du moins en France – le jazz en Belgique sera pourvoyeur de grands talents après la guerre – comme les praguois ou, mieux encore, berlinois.
Dernier élément qui vient casser la légende, le jazz. Le souvenir là encore associe zazou et jazz. Ils sont présents, c’est vrai et vérifié, aux concerts de jazz notamment ceux organisés par Charles Delaunay – secrétaire général du Hot Club de France. L’association publie régulièrement son bulletin pour informer ses adhérents. Il se découvre, dans ces écrits, que Delaunay trouve ces zazous mal élevés sans connaissance du jazz, ils crient, ils applaudissent aux mauvais moments et sont adeptes des mauvais orchestres qui peuplent leurs nuits. Particulièrement les solos de batterie spectaculaires mais sans vraiment de fil conducteur. Paradoxalement, lorsqu’on connaît la suite, le président du Hot Club de France, Hugues Panassié, dans sa maison du sud de la France, est plus clément avec cette jeunesse. Il faut dire que Charles est l’organisateur et il risque de se voir accusé par les autorités d’occupation. Pas facile.
Le souvenir a quelque chose de juste. Les zazous prennent le jazz comme étendard de leur volonté d’être en dehors de la société de l’époque mais ils ne sont pas des connaisseurs. Peu importe. Le jazz reste la musique de toutes les révoltes et ce depuis les années vingt pour la France particulièrement.
Un travail nécessaire sur cette période trouble qui illustre la thèse de l’auteur « Jazz et société sous l’Occupation », publié en 2009 chez le même éditeur.
Nicolas Béniès
« L’histoire des zazous, Paris-Bruxelles-Prague-Berlin », Gérard Régnier, L’Harmattan.
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