Les élections aux États-Unis attirent tous les projecteurs. Les journalistes en restent souvent aux apparences. Le « clown » Trump a fait rire dans un premier temps, sorte de Donald Duck plus vrai que nature, sorti tout droit du dessin animé créé par Disney. Tex Avery semblait tout proche pour cette caricature. Puis il a fait peur sans s’interroger sur ce qu’il représentait, de quelle figure il était le porteur.
De l’autre côté de ce spectre qui va de l’extrême droite à la gauche, l’autre figure de ces États-Unis a surgi, surprenant le petit monde médiatique, Bernie Sanders se réclamant du… socialisme, un concept qui semble faire partie de la mélancolie du monde de l’avant chute du Mur de Berlin.
Deux extrêmes, deux représentations d’un pays en train de basculer, de se transformer, de se refonder. « L’Amérique qui vient » de Christophe Deroubaix, journaliste à l’Humanité, et « Atlas des États-Unis », sous titré « Un colosse aux pieds d’argile » – il arrive que les clichés tombent justes – de Christian Montès et Pascale Nédélec reposent des questions clés sur la place des États-Unis dans le monde et les déstructurations de cette société.
Les Etats-Unis – c’est déjà la thèse de Sylvain Cypel dans « Le nouveau rêve américain », aux éditions Autrement – sont partagés entre le passé toujours présent et le présent porté par les jeunes générations – surtout des femmes – dessinant un avenir différent que ce passé recomposé par les « mâles blancs ». Il faut souligner, comme le font tous les auteurs mentionnés que le concept de « race » aux États-Unis a un contenu différent de celui existant dans les pays d’Europe. C’est une construction sociale, une détermination de la place de chaque individu dans la société. Il doit – il devait, en fait entre présent et imparfait – faire partie d’une communauté. Les recensements en faisaient foi. Il fallait se déclarer Noir, Caucasien – pour Blanc -, latino… Le dernier recensement, nous apprend Christophe Deroubaix, change la donne. On peut se déclarer « mélangé »…
D’une manière un peu caricaturale, Trump exprime ce passé. Il s’adresse à cette catégorie de la population qui voit son pouvoir lui échapper au profit des « minorités », les latinos, les femmes – bien que majoritaires dans la population, elles sont toujours considérées comme une « minorité ». Ces « mâles blancs » sont en voie d’être dépassés, engloutis par la vague des « minorités » mais ils n’ont pas encore disparus. C’est une des raisons qui rend le résultat imprévisible. Trump peut gagner, le passé peut l’emporter, un passé du cauchemar américain avec son lot de racisme. L’autre raison qui pourrait conduire à la victoire de Trump est la campagne d’Hillary Clinton, incapable d’exprimer les espoirs de cette jeunesse qui s’était retrouvé dans Bernie Sanders, après les grandes mobilisations contre Wall Street, organisées par « Occupy Wall Street ». Le slogan résumait bien la volonté de ces militant-es : « Nous sommes les 99% », 1% de la population américaine trustant la grande majorité de la richesse produite. La profondeur de la récession de 2008-2009, coïncidant avec le premier mandat de Barak Obama, a ouvert une prise de conscience sur la réalité du capitalisme libéral et du poids de la finance sur la profondeur des inégalités.
Christophe Deroubaix dresse, d’abord, un portrait du passé, à l’aide d’interviews de chercheurs en sciences sociales américains – c’est ce qui fait leur prix -, de statistiques, de choses vues et de graphiques pour ensuite montrer que cette structuration est en passe de disparaître. L’Atlas, de son côté, élargit le spectre du côté de l’Histoire de cette formation sociale spécifique pour indiquer que l’impérialisme américain connaît des ratés, que son moteur s’épuise. Le monde est toujours sous la domination américaine sans que ce pays ait les moyens de rester le gendarme du monde. Les éclatements géopolitiques sont là pour le montrer. La profondeur des crises – financière, économique, culturelle, politique –appelle des réponses globales. La société se doit de se transformer sinon c’est l’écroulement.
L’hyperpuissance américaine qui sort victorieuse lors de la chute du Mur de Berlin n’est plus que l’ombre d’elle-même. George W. Bush avait déclaré la guerre à l’Irak pour éradiquer le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001, pour assurer l’ordre américain sur le reste du monde… avec des conséquences catastrophiques pour la société étasunienne rongé par l’impuissance. Cette décision a complètement déstructuré le monde, enlisant les États-Unis – et les autres puissances néo-coloniales – dans une guerre sans nom. Cette invasion a eu comme conséquence le développement de tous ces groupes, tel DAESH, qui défendent leurs propres intérêts de « seigneurs de guerre » en jouant sur l’ambiguïté de leur lutte contre l’impérialisme américain. L’Atlas, par cartes et commentaires, appuie cette démonstration.
Si Trump gagne, ce sera une nouvelle version de l’isolationnisme, très à la mode en ces temps incertains, qui pourrait accélérer toutes les mutations du monde vers l’éclatement et la barbarie.
Rien ne dit que Clinton pourrait proposer une autre politique qui passerait par une redéfinition du rôle des États-Unis et combattre la finance pour imposer d’autres critères, pour susciter une nouvelle industrialisation passant par des énormes investissements publics.
« L’Amérique qui vient », comme l’Atlas sont absolument nécessaires pour avoir une grille de lecture dans cette élection américaine – et pour la suite.
Nicolas Béniès
« L’Amérique qui vient », Christophe Deroubaix, Éditions de l’Atelier ; « Atlas des Etats-Unis. Un colosse aux pieds d’argile », Christian Montès et Pascale Nédélec, Éditions Autrement.
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu