Née à Istanbul en 1971, Pinar Selek est surtout connue en tant qu’universitaire, éminente sociologue, militante courageuse pour la justice sociale, les droits des opprimés[1], féministe et antimilitariste[2].
Elle avait 27 ans lorsqu’elle est arrêtée, en juillet 1998, suite à son enquête sociologique sur “l’histoire orale des militant.e.s kurdes” comportant une soixantaine d’entretiens, en particulier en Anatolie et auprès de la diaspora politique kurde, en France et en Allemagne. Malgré près de deux semaines de tortures épouvantables dont elle garde encore des séquelles, elle refusera de livrer à la police les noms des personnes interviewées et sera alors accusée d’être l’auteure d’un « attentat » au Marché des épices d’Istanbul, ayant fait 7 morts et 121 blessés, alors qu’elle était en prison, prétexte pour maintenir encore sa détention plus de 2 ans avant les preuves indéniables que ce drame résultait de l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz !
Ayant continué son travail universitaire sur des sujets qui déplaisent au pouvoir politique en Turquie, notamment en consacrant aussi un livre au peuple arménien[3], elle est poursuivie, depuis 26 ans, sous un unique prétexte reconnu mensonger par la justice turque qui l’a acquitté maintes fois[4], mais toujours menacée d’emprisonnement à vie par le régime d’Erdogan qui ordonne un nouveau procès en 2025 ! [5]. Elle a été obligée de fuir son pays, réside en France depuis 2011 où elle a obtenu la nationalité française en 2018. Fréquemment menacée de mort[6], elle écrit néanmoins aussi des contes et des romans, pleins de dynamisme et d’humour, tant pour enfants[7], que pour adultes, tous empreints d’une grande sensibilité.
Dans son plus récent roman[8] publié, on suit Azucena, personnage énigmatique, dénommée aussi ‘’Bleue’’ comme le train bleu où elle se réfugie souvent. Avec elle, on découvre des dimensions méconnues de Nice, ‘’aux frontières de cette ville de l’exil et du tourisme’’, loin des palaces et résidences de milliardaires, où quelques poètes et musiciens, considérés comme un peu zinzins ou paranos, vont accueillir avec bienveillance cette nouvelle Zinzine aux chaussures rouges, tout à la fois déterminée et fragile, en marge d’un petit peuple de fourmis déployant des trésors de solidarités concrètes auprès des invisibles.
Philippe Laville [9]
[1] S’étant mobilisée très jeune contre les inégalités, particulièrement aux côtés d’enfants des rues, de personnes marginalisées, en particulier en inventant un « atelier des artistes de rue » à Istambul. Pour en savoir plus on pourra lire notre entretien recueilli à l’occasion de 3 journées LDH en mai 2019 à Bédarieux (34) où Pinar Selek fut accueillie par de multiples personnes et associations en leur laissant un souvenir impérissable : https://site.ldh-france.org/bedarieux/pinar-selek-a-bedarieux/entretiens-pinar-selek/
[2] Le chaudron militaire turc – un exemple de production de la violence masculine. Ed. Des femmes, 8-2023
[3] Parce qu’ils sont arméniens Ed. Liana Levi, 2015
[4] https://pinarselek.fr/chronologie_pinar_selek/
[5] Voir l’article de Pinar Selek « Persister et signer », publié en février 2024 dans Droits & Libertés, la revue trimestrielle de la LDH : www.ldh-france.org/dl-numero-204/
[6] Pour la soutenir : https://pinarselek.fr/revue-de-presse/videos-audios/nous-sommes-solidaires-de-pinar-selek/
[7] Seul quelques uns sont traduits et diffusés en France, comme le très beau conte Verte et les oiseaux, faisant résonner l’aspiration à la liberté, l’amitié, le courage, le respect de la nature et de l’ensemble des êtres vivants. Ed. des Lisières, 2017
[8] Azucena ou Les fourmis zinzines, Ed. Des femmes, 3/2022, 14€.
[9] Cet article complète celui publié en page 31 de l’US-MAG 850 d’octobre 2024, titré «Soutenir Selek », qui présentait brièvement son plus récent roman, où la place réduite ayant engendré une compression de phrase pouvait laisser penser, en parlant de la narratrice, que c’était Pinar Selek qui se réfugiait dans le ‘’train bleu’’, et non le personnage principal de son roman, Azucena, dénommée aussi Bleue.
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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