Au moment où l’Europe est en crise, où l’idée européenne est attaquée par la montée des nationalismes et des populismes, à l’heure du Brexit, Falk Richter s’interroge sur ce qu’est l’Europe. Pour son texte il est parti de ce que les huit jeunes comédiens qu’il avait choisis – quatre filles et quatre garçons venus de divers pays d’Europe – lui ont raconté. Avec leurs vrais prénoms, ils vont discuter dans leur langue et en français, raconter leur histoire et celle de leur pays, s’étonner de la rencontre avec l’autre, si proche et parfois si lointain, dire ce qui leur tient à cœur et nous interpeller.
Le projet a mobilisé une cinquantaine de performeurs, à la fois acteurs, chanteurs et danseurs, et sera présenté dans plusieurs pays européens de Hambourg à Zagreb, de Paris à Bologne et même à Genève avec des groupes différents. Si le spectacle mélange les langues des performeurs, la langue du pays où le spectacle est joué occupe la place la plus importante.
Lana Baric est Croate, Charline Ben Larbi est Française, née à Marseille, Gabriel Da Costa, d’origine franco-portugaise, vit entre la Belgique et l’Italie, Mehdi Djaadi est né à Saint-Etienne, Khadidja El Kharraz Alami est née à Amsterdam et vit aux Pays-Bas, Douglas Grauwels est Belge, Piersten Leirom est né à Angers et vit en France, Tatiana Pessoa a une lointaine parenté avec l’écrivain portugais et a navigué entre l’Allemagne, l’Afrique de l’Ouest et la Belgique.
Au fil de leur histoire on croise un peu toutes les questions qui agitent l’Europe : le souvenir de la guerre, la montée de l’extrême-droite et la tentation du repli, comme en témoignent la crise des réfugiés et la multiplication des contrôles aux frontières, la diversité religieuse et culturelle, les inégalités économiques avec les quartiers de relégation, les transformations de la sexualité, avec des couples d’homosexuels et des formes de famille très différentes de la tradition.
Parfois juchés sur des briques de mousse et en équilibre instable, les performeurs résistent, des chorégraphies évoquent la chute, à l’image de cette Europe fragilisée. La musique résonne en écho à l’histoire (superbe Bella ciao) ou aux drames plus récents (Dis-moi t’es où papa pour la mémoire des Algériens assassinés à Paris lors de la manifestation d’octobre 1961). Elle est aussi l’écho de la diversité passant du disco au rap et au hip-hop. Des petits écrans de télévision renvoient à l’histoire politique, manifestations, meeting populiste de Geert Wilders, voix de Mitterrand, discours d’Emmanuel Macron, famille royale belge et bien sûr Gilets jaunes.
Partant de leur histoire personnelle ils évoquent la complexité de l’idée européenne, ce qu’elle suppose de volontarisme, d’acceptation de la diversité pour exister. L’Europe n’a pas permis d’échapper aux violences, comme en témoignent les assassinats à Paris des Algériens venus manifester pacifiquement en octobre 1961 ou la guerre en Yougoslavie en plein cœur de l’Europe dans les années 1990.
On peut déplorer que l’approche par les histoires individuelles hypertrophient les questions sociétales au détriment des questions économiques. Cette approche ne facilitait pas l’évocation du rôle des diktats du capitalisme financier et d’un libéralisme décomplexé dans l’essoufflement du projet européen. Il y a certes quelques allusions à la crise de 2008, aux dégâts de l’agriculture productiviste, à la montée des inégalités ou à la crise des gilets jaunes, mais cela reste un peu marginal.
Mais au final on se passionne pour ce spectacle au rythme soutenu, qui n’hésite pas à égratigner avec humour les dirigeants européens et qui, au-delà du constat parfois un peu affligeant de la situation politique et de l’essoufflement de l’idée européenne porte les espoirs d’une génération.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h
Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier
1 rue André Suarès, 75017 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
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