
au Festival d’Avignon et en tournée
Le fondateur de ce collectif de jeunes artistes, Camille Dalloz (issu de l’ENSAD et titulaire d’un Master de théâtre à l’Université de Montpellier) est coconcepteur de ce spectacle avec Emmanuelle Bertrand (collaboratrice artistique, également comédienne pour d’autres spectacles, en particulier pour ‘’Les instantanés’’ avec 5 autres artistes de la Cie, et animant des ateliers d’initiation à la pratique théâtrale en milieu étudiant). Cette création s’inscrit pleinement dans les objectifs de « valorisation des écritures du réel » de la Compagnie, avec des paroles collectées en situations ‘’d’immersion’’, particulièrement du travail sur « la mémoire collective et l’auto-socio-biographie ».
C’est le plus récent spectacle de cette compagnie, fondée en 2011 à Montpellier, et ayant déjà 10 autres créations à son actif, dont 6 sont encore en diffusion et peuvent être programmées[1], notamment pour des publics lycéens, comme le ‘’Diptyque Mémoire et Résistance’’, évoquant notamment la déportation et l’idéologie nazie, dont l’importance est grande dans la période où le négationnisme reprend de l’ampleur avec l’essor des mouvements d’extrême-droite dans notre pays comme dans de trop nombreux autres. Est également toujours en diffusion depuis 2019 une libre adaptation d’extraits du livre Les années d’Annie Ernaux, titrée ‘’Les instantanés’’, avec une remarquable interprétation en synergie avec le public[2] que nous avons particulièrement appréciée, en juin 2024, lors de sa programmation à Paris, au sein de l’Espace social MAIF[3].
Camille Dalloz est ici seul en scène pendant 1h nonstop, à jongler avec une approche humoristique de multiples manières d’utiliser le site de petites annonces Le bon coin. Il questionne le rôle de générateur de lien social de ce site[4] qui serait, depuis plusieurs années, parmi les plus consultés quotidiennement en France. Le spectacle se présente comme résultant de plusieurs années d’immersion dans l’utilisation du site dans une fonction ludique, voire thérapeutique de création de liens intimes fantasmés à la manière de sites de rencontres.
La mise en scène propose une alternance de situations théâtralisées jubilatoires où l’anonymat peut permettre tous les abus les plus délirants autour d’échanges numériques, et l’exposé d’expérimentations très sérieuses, à la manière d’une conférence magistrale psychosociologique, interpelant parfois les spectateurs. La narration s’appuie alors sur des projections, notamment de pages affichant des petites annonces de personnes ayant mis des produits en vente et leurs réponses à son personnage, dont le profil d’acquéreur potentiel et la présentation changent selon les situations…
Photo de Presse Léo Daniel

Bien que ce ne soit pas dans ses intentions explicites, à l’heure où le faux envahit de plus en plus souvent notre quotidien[5], cette création peut aussi permettre de s’interroger et débattre sur la multiplicité de ce que recouvre le développement d’internet, comme outils d’information, d’émancipation… mais aussi de traquenards, de désinformation porteuse de dangers accrus par l’IA génératrice d’illusions du réel, voire de déformations volontaires de la réalité, dans le présent comme dans le passé (ce qu’imaginait déjà Orwell en écrivant ‘’1984’’). C’est particulièrement inquiétant lorsque l’appât du gain et/ou du pouvoir économique et politique conduit à museler des scientifiques et l’éthique de journalistes formés à l’investigation rigoureuse et à la déontologie… « Dans cette jungle numérique, comment discerner le vrai du faux, l’important de l’anecdotique ? Comment restaurer une culture du discernement dans un monde saturé d’infox ? »[6]. Ces questions urgentes concernent aussi particulièrement l’enseignement comme la culture qui devraient disposer des conditions nécessaires pour protéger les générations futures et ne pas subir de nouvelles réductions budgétaires !
Philippe Laville
Programmation jusqu’au 23 juillet, à 11h dans une petite salle du Théâtre du Train Bleu (40 rue Paul Saïn, en plein centre ; réservation conseillée : www.theatredutrainbleu.fr ). Après le Festival d’Avignon, ce spectacle est déjà programmé en de nombreux autres lieux en 2025-26 : 25 aout • Toujours Festival | Château de Menthon (01) ; 23 et 24 septembre •Théâtre de Pézenas (34) ; Octobre • Les Transes Cévenoles | Sumène (34) ; • Les vendanges d’octobre | Alenya (66) ; 07 novembre • L’Albarède | Ganges (34) ; Janvier 2026 • Le Pré-haut | Saint-Chély d’Apcher (48) ; 24 janvier • La nuit de la lecture | Mèze (34) ; Février 26 • Communauté de Communes Comtal Lot et Truyère (46) ; 09 avril 26 • Le Kiwi | Ramonville (31)…
[2] https://www.lecridevot.org/lesinstantanes
[3] Au 37 rue de Turenne – 75003 Paris (www.maifsocialclub.fr ). La MAIF soutient aussi un autre spectacle programmé par le Théâtre du Train Bleu pendant ce Festival dans son Espace social d’Avignon (‘’hors les murs’’ au 139 avenue Pierre Sémard, avec déplacement possible en navette depuis le Théâtre à 10h jusqu’au 24/7 sur réservation -70 places maxi : www.theatredutrainbleu.fr), titré ‘’Que son nom demeure’’ de Mathieu Touzé, qui interroge aussi la mémoire de l’Histoire, de la fabrication des héros, ainsi que les dimensions individuelles et collectives de l’engagement, centrées sur le rôle de Jean Moulin et de son entourage face à l’occupation nazie et au gouvernement d’extrême-droite de la France par Pétain (en coopération avec le Musée de la Libération de Paris, où il sera repris le 19 septembre). Création particulièrement bien interprétée par 5 jeunes comédien-ne-s, toujours en mouvement dans une dynamique très stimulante (https://collectifreveconcret.com/#QSND ; Collectif de jeunes artistes créé en 2012).
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Leboncoin contient une présentation des dimensions économiques de cette entreprise, et évoque aussi quelques analyses sociologiques de son succès, en particulier en matière de lien social, dimension sur laquelle s’appuie le spectacle de Camille Dalloz.
[5] Au point que cela justifie un dossier spécial conséquent, d’une cinquantaine de pages avec des analyses multidisciplinaires sur le développement des fausses nouvelles, de croyances irrationnelles et de théories du complot, titré ‘’La science à l’épreuve du faux’’ dans l’édition trimestrielle de La Recherche (n°582 juillet-septembre 2025), rappelant notamment une mise en garde d’Hannah Arendt dès 1989 pour l’avenir de la démocratie : « Là où tout le monde ment à propos de tout, le résultat n’est pas que l’on croit les mensonges, mais que plus personne ne croit rien »
[6] Conclusion d’un article de Claire Mathieu, directrice de recherche au CNRS, ‘’Désillusion algorithmique’’ publié dans Sciences et Avenir 941 (juillet-aout 2025, p. 126)
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