Chaque saison le Théâtre National de Marseille ramène dans son grand filet une pêche toujours plus miraculeuse. Miracle au sens profane, le résultat d’un concours de volontés et d’actions courageuses. Miracle que de maintenir le cap d’un théâtre politique et ouvert, sensible et intelligent, citoyen et contestataire, novateur et réparateur. Pourtant, l’époque n’est pas à la culture populaire de qualité – plutôt à l’inculture populiste en quantité!

À la Criée, on croit. On croit à la mission de transmission et l’on met l’élévation par la culture au rang de projet, on en fait une éthique et on y trouve un bonheur d’agir. À la Criée, on sait faire un usage libre et progressiste de l’institution devenant outil de transformation. Car croire ne suffit jamais, il faut oser, faire, s’engager. C’est ce que fait Robin Renucci à la tête de la Criée depuis 2022, mais surtout pas seul. Misant sur la force et l’intelligence du collectif, il sait faire confiance, lancer des idées, animer et bien sûr créer et/ou jouer lui-même. Il le fera cet automne avec La Leçon d’Eugène Ionesco qu’il mettra en scène et dans laquelle il jouera le rôle ingrat du professeur tyrannique ; ou encore à l’été 2026, avec une mise en scène de L’École des femmes, une comédie où Molière pointe déjà la toute-puissance masculine et prône l’émancipation des femmes.

Sous l’impulsion de Renucci, quelque chose de l’ancienne criée du port de Marseille revit, remonte à la surface. Mais quoi ? Quelque chose de populaire, au sens d’un TNP métamorphosé en TMP ? Plus encore. C’est comme si le directeur de la maison sortait sur le Quai Rive Neuve et devenait le crieur. Là, sur le parvis ouvert à la ville et à la Méditerranée, il nous appelle à venir vivre et participer à un théâtre du bien commun.

Dans l’ensemble, la saison qui vient se présente diverse et désirable avec 13 créations à l’affiche dont une œuvre ancrée dans Marseille puisque dès l’automne, 65 rue d’Aubagne de Matilde Aurier et la Compagnie du Cri reviendra sur la tragédie du 5 novembre 2018. Ce jour-là, à 9h05, deux immeubles de cette rue du centre-ville s’effondraient, causant la mort de huit habitants. Comment survivre à la catastrophe ? Blessures d’une ville et résilience de son peuple. En écho, la Criée recevra en deux temps, un spectacle philosophique de Grégoire Ingold et Fabienne Jullien, Dire une société désirable. À partir de La République de Platon, on interroge la question de la justice mais aussi celle de la décadence des régimes politiques, dont la démocratie. Autre création, La Stupéfaction, une pièce écrite et mise en scène par Marie Provence. Dans une société où le travail détruit les corps et les âmes et où la conjugalité peut devenir toxique, il est souhaitable que l’intime soit partagé.

En 25-26, La Criée recevra des spectacles en tournée comme Lacrima de Caroline Guiela Nguyen, Léviathan de Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix ou L’Hotel du Libre-Échange montée par Stanislas Nordey. Des créations de la Criée tourneront dans la région comme TAIRE de Tamara Al Saadi qui après Avignon, reviendra au Théâtre de La Joliette et à Aix-en-Provence, avant de parcourir la France du nord au sud et d’est en ouest. L’année qui vient, La Criée va « lever l’ancre » avec une série de projets hors les murs. Théâtre de l’Astronef, Théâtre de l’Œuvre, une crèche, des lycées, la faculté d’Aix, le Centre pénitentiaire des Baumettes, la friche de La Belle de Mai ou encore le Théâtre Joliette, sont autant de lieux autres où La Criée sera en itinérance. Mais ce n’est pas tout. En plus des nombreux partenariats avec l’Éducation Nationale, l’Assistance Publique Hôpitaux Marseillais, la Ligue de l’Enseignement des Bouches-du-Rhône, les Écoles d’Art et moult associations, La Criée accueille depuis 2023 des élèves acteurs et actrices de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille, sous la forme d’une Jeune Troupe. Lors de la saison à venir, La Jeune Troupe participera à des créations comme 65 rue d’Aubagne. Elle sera à Avignon cet été avec La tête sous l’eau de Myriam Boudenia, mise en scène par Louise Vignaud.

On le voit sans même tout citer, La Criée est plus qu’un simple théâtre ! C’est un lieu de vie, de rencontre, de création et de liens, un lieu d’invention, laboratoire d’une sociabilité renouvelée et revivifiée par des valeurs de solidarité, d’écoute, de partage, de justice et de liberté. Plus qu’un théâtre ? Mais que serait une scène nationale si elle était moins que cela ? Encore faut-il le faire vraiment ! À l’heure des violences de notre monde et d’une austérité politique qui sacrifie la culture alors qu’elle est le souffle d’une société, La Criée s’inscrit pleinement dans l’esprit de l’après-Seconde guerre mondiale où les Centres Dramatiques Nationaux naissaient pour être des maisons où l’on vient découvrir, réfléchir, questionner, apprendre ensemble pour réinventer l’avenir.

La Criée crie haut et fort qu’elle est une Maison du peuple et des langages, un lieu de Communes Paroles. Est-ce ringard, à contre-courant ? Dans une époque où le courant dominant mène à la perte, à la confusion, au n’importe quoi et même au pire en matière dans le social, l’écologique et le politique, remonter le courant est un effort salutaire… que l’on salue !

Jean-Pierre Haddad

La Criée, Théâtre national de Marseille, 30 Quai de Rive Neuve, 13007, Marseille.

Informations et abonnements : https://theatre-lacriee.com/la-criee/missions

Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu