gelas_-_saltimbanque_reduit_.jpg Après avoir fêté les 50 ans de créations du Théâtre du Chêne noir que vous avez créé à Avignon en 1967, on peut célébrer cette année les 50 ans du ‘’Off” dont vous êtes le concepteur en 1968 avec André Benedetto … quels étaient alors vos espoirs, vos aspirations ?

Gérard GELAS – Nous n’avions pas d’espoirs, plutôt des aspirations de jeunes gens à ne pas être obligés de demander de parrainage pour pouvoir faire du théâtre. Nous aspirions à la liberté d’expression, dans un contexte étouffant, avec pour ma part une forte influence de Jean Vilar, un ancrage politique fort au cœur des évènements de 68 dépassant largement le théâtre. Enfant d’immigrés italiens par ma mère, venant d’un quartier populaire d’Avignon où j’étais, à 17 ans, un des seuls à faire quelques études, je dois à des enseignants en lycée mon goût de la lecture et ma découverte du théâtre. Benedetto avait déjà un lieu théâtral « Le Théâtre des Carmes », alors que « Le Chêne Noir » a été pendant longtemps itinérant, après avoir sollicité en vain pour disposer d’un local (1) le maire de l’époque qui estimait alors que le théâtre municipal était bien suffisant (avec une programmation très conventionnelle ne prévoyant pas de place pour la création contemporaine)… J’étais alors musicien de jazz, contrebassiste, passionné de cinéma (ayant fondé alors un ciné-club) mais totalement inconnu lorsque je présente mon premier spectacle, un récital de poésie dans un café-restaurant sur la place des Carmes, avant de rencontrer Benedetto puis de créer ma première pièce.

Alors comment est né ce « festival off » ?

Gérard Gelas - photo Manuel Pascual
Gérard Gelas – photo Manuel Pascual
G. G. – Le Festival d’Avignon, ce n’était alors que 15 jours dans la Cour d’Honneur (essentiellement Jean Vilar) et Benedetto au Théâtre des Carmes depuis 1966. Certains prétendent que, dans le climat post mai 68, le déclencheur fut l’interdiction de ma première création théâtrale « La paillasse aux seins nus » (2) et l’effervescence qui en résulta, dont bénéficièrent aussi mes créations suivantes, en particulier « Marylin » (3) créée un an plus tard le 18 juillet 69 dans le premier petit local, de 60 places, rue St-Joseph, puis surtout « Sarcophage » avec une tournée nationale qui suivit sa création en novembre 1969.

Quelle analyse faites-vous des évolutions du Off, des réussites, des dérives marchandes ?

Certes le commerce triomphe, à part dans quelques salles. Ici, l’équipe du Chêne noir est toujours attachée aux valeurs fondatrices et nous n’avons jamais fait de locations pour des spectacles, nous partageons les risques en proposant des co-réalisations (4). Mais, en même temps, parmi ceux qui donnent des leçons, cela ne concerne pas que le théâtre privé, on peut faire aussi commerce dans le théâtre public par le jeu des subventions et des privilèges qu’on s’octroient… J’invite à la modestie. J’ai eu moi-même des pièces programmées en théâtres public, à Chaillot, à Beaubourg, et dans toute la France, sans parler de l’Europe. Mais aujourd’hui on constate des régressions, avec un entre-soi qui s’est installé, privilégiant de très gros spectacles, des installations très coûteuses. En région parisienne personne n’a voulu prendre de risques avec mes créations dérangeantes en particulier sur Che Guevarra (2009) ou « Confidences à Allah » de Saphia Azzeddine. Seuls les théâtres privés m’ont fait confiance (5). A Avignon, le festival off a toujours sa fonction de stimulation, de découvertes, de jeunes fourmillant de créativité, peut-être parce que d’autres ne jouent pas pleinement leur rôle… y compris la presse spécialisée, les médias…

Nous savons que le Chêne Noir a une importante activité toute l’année en dehors du festival, mais avez-vous un impact dans les quartiers populaires d’Avignon ?
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Effectivement ici c’est tout le temps plein (6) mais j’ai notamment joué ma pièce de 2016 sur les migrants à la Maison Pour tous de Champfleury avec un public important de ce quartier populaire. J’y tiens particulièrement et nous engageons une nouvelle opération dans ce quartier en septembre (7) avec les habitants, sans aucune subvention spécifique (on nous a même rogné 10% de notre subvention globale depuis quelques années) comme pour l’accueil de 10500 enfants des banlieues d’Avignon qui viennent chaque année travailler au Théâtre… Après avoir vu un spectacle ils le réécrivent à leur façon avec leurs professeurs et nos intervenants et ils viennent le jouer ici en fin d’année avec tous les moyens professionnels… et leurs parents viennent enfin au théâtre…

Entretien recueilli auprès de Gérard Gelas pendant le festival d’Avignon en juillet 2018, par Philippe Laville (auteur des notes). Pour en savoir plus, voir aussi les deux ouvrages illustrant cet article. A noter que le Théâtre du Chêne noir qui a une programmation permanente ( www.chenenoir.fr ) est, avec le Théâtre des Carmes, un des premiers lieux “réduc’snes” de France lorsque nous avons lancé ce “partenariat” il y a 30 ans…

« Nous avons décidé de saisir les étoiles aux cheveux et de les brandir en dansant comme des armes au-dessus du vieux monde. »
Gérard Gelas en 1971, alors qu’il créait Aurora au Théâtre du Soleil à l’invitation d’Ariane Mnouchkine (calicot qui orne la cour du Théâtre à Avignon)


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