
Il y a 130 ans, Maurice Pottecher (1867-1960), écrivain, poète et dramaturge crée le théâtre populaire de Bussang dans les Vosges. La famille possède une industrie de couverts et d’étrilles. Maurice est le cadet, il est déchargé de la reprise du flambeau mais surtout c’est un littéraire. Il écrit des pièces dans lesquelles il fait jouer les ouvriers et ouvrières de l’usine familiale. Comment ce théâtre amateur et local inspiré des expériences philanthropiques de capitaines d’industries du XIXe a-t-il pu perdurer plus d’un siècle ? Comment peut-il avoir à 130 ans, une vitalité de jeune premier ? Comment a-t-il pu acquérir une renommée nationale et internationale ? Toute chose vivante ou non, du seul fait d’exister déploie un conatus ou « effort » pour persévérer dans l’être (Spinoza). Une activité humaine aussi a un conatus et il faut croire que celui du Théâtre du Peuple de Bussang porté au début par des individus déterminés comme Maurice et son épouse, la comédienne Camille de Saint-Maurice, puis par les directions successives et par tous les collectifs, ceux d’acteurs et d’actrices, ceux de techniciens et techniciennes et bien sûr par tous les bénévoles bussenets, que cette énergie vitale a été et est encore suffisamment puissante et affectée de joies pour atteindre la longévité du homard – la baleine boréale est en ligne de mire !
La fortune des Pottecher certes, mais aussi la gestion économe et sans recherche du profit financier ont aidé. Les acteurs professionnels qui venaient jouer à Bussang étaient nourris, logés, blanchis mais ne recevaient pas de cachet et vivaient en communauté avec les amateurs et bénévoles – c’est le côté phalanstère du Théâtre du Peuple ! En 1976, le Théâtre de Bussang devient une association loi 1901 qui nommera des personnalités théâtrales à la direction artistique. Actuellement, c’est la metteuse en scène et comédienne Julie Delille qui dirige Bussang. Elle y présente cet été, Je suis la bête d’après le roman éponyme d’Anne Sibran (Cf. ce blog). Il faut aussi noter que dès le début de cette entreprise culturelle assez unique, Maurice Pottecher a su conjuguer la dimension d’ancrage local avec celle plus globale d’un théâtre ouvert sur des œuvres et des professionnels de tous les horizons. Enfin, dans la région comme ailleurs en France, la désindustrialisation a fait des dégâts mais parallèlement le tourisme s’est développé, en particulier le tourisme culturel saisonnier. Rappelons que la culture c’est 8 % du PIB français et que le spectacle vivant génére plus de deux milliards d’euros par an. Dans les Vosges et pour le monde du théâtre, Bussang est devenu un grand rituel estival. On y vient pour le lieu, pour son histoire et bien sûr pour les spectacles – deux dans la même journée, comme actuellement avec Je suis la bête en soirée et en matinée, Le roi nu d’Evgueni Schwartz mis en scène par Sylvain Maurice (Cf. ce blog). Selon une étude sociologique récente (Cf. plus bas), les trois quarts des spectateurs viennent de la Région Grand Est, et un quart des Vosges ; le dernier quart se répartissant entre la Bourgogne Franche-Comté, l’Ile de France et Paris, d’autres régions et même l’étranger.
« Qu’il ait pour fond les sapins de l’Est, les collines du pays d’Arles ou la lande bretonne, c’est dans le sol natal que ce Théâtre puisera sa vie et sa personnalité. Ce que nous avons essayé dans un coin du pays lorrain, tentez-le ailleurs ». Maurice Pottecher (Préface du Diable marchand de goutte, 1895). L’ancrage territorial fait de Bussang une institution parfaitement dans l’air de notre temps. Le théâtre cultive en fait, une double ouverture : culturelle sur le lointain donc, mais aussi physique sur le flan de la montagne boisée sur lequel est construit le théâtre ! En effet, le plateau de théâtre a réellement « pour fond les sapins de l’Est ». Le grand chalet tout en bois s’ouvre en fond de scène au moyen d’une grande porte coulissante qui donne directement sur la forêt de Bussang – ouverture sur la nature également dans l’air du temps ! Tous les spectacles ne sont pas obligés de jouer sur cette lisière entre scène et forêt, mais il y a des spectacles où elle est particulièrement appelée par l’œuvre et cela ne manque jamais d’avoir un effet absolument singulier. C’est le cas avec Je suis la bête et de nuit. Dans l’obscurité de la dernière scène et suite à une très discrète ouverture des régisseurs, la forêt envahit la salle, atteint le public par ses odeurs, la fraicheur du soir vient caresser nos visages. La saison de ce jubilé 2025 débutée en mai, se terminera les 13 et 14 septembre avec deux Journées du Matrimoine, échanges, lectures et promenades autour des figures féminines du Théâtre du Peuple.
Pourquoi ne pas envisager une belle balade dans les Vosges pour les 131 ans de Bussang ?
Jean-Pierre Haddad
Le Théâtre du Peuple de Bussang, 40 rue du Théâtre du Peuple, 88540 Bussang.
Le site du théâtre : https://theatredupeuple.com/
Lectures : Julie Delille, Projet pour la direction du Théâtre du Peuple Maurice Pottecher, Bussang, Avril 2023 ;
Anne Labit, Le Théâtre, le Peuple et le Territoire – Universités d’Orléans et de Tours, Pièce sociologique en deux actes, Édition du Théâtre du Peuple, Janvier 2025.
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