Gaële Boghossian, conceptrice de cette adaptation avec l’équipe du Collectif8, particulièrement de Paulo Correia qui en est également à l’origine, exprime sur son site, où on peut également trouver la riche évolution créatrice de cette compagnie depuis 2005, que « Monter 1984 aujourd’hui est pour nous d’une nécessité artistique vitale : surveillance, manipulation de la pensée et de l’information, reformatage de la pensée, puritanisme et communautarisme, appauvrissement du langage et de la pensée, restriction des libertés d’expression, état d’urgence… Autant de manifestations sociétales de notre temps qui sont prédites dans ce roman visionnaire et qui nous donnent le sentiment profond d’une urgence irrépressible.»

L’équipe travaillant avec des enseignants et régulièrement auprès de classes de collèges et lycées en région niçoise et en tournée (nous avons pu constater en découvrant ce spectacle au festival d’Avignon l’attention soutenue d’un groupe de lycéens venus de Périgueux), cette création peut notamment contribuer à faire réfléchir les jeunes, comme les adultes, sur la fragilité des démocraties, les diverses manipulations pouvant contribuer à engendrer des dictatures (y compris par l’appauvrissement du langage, les fausses informations, le conspirationnisme portés par certains nouveaux moyens de communication où l’approfondissement des connaissances, la recherche de la vérité ne sont pas la priorité). C’est particulièrement important en ces temps où, dans un nombre croissant de pays en Europe et dans le monde, l’ombre du fascisme se déploie dangereusement, avec son cortège de haines des ‘’étrangers’’, plus globalement de toutes les personnes qui différent du modèle dominant dans chaque pays où se répand cette idéologie porteuse de rejets des aspirations à l’égalité comme à la fraternité entre humains, quelles que soient leurs origines… Alors que cela s’accompagne de restrictions croissantes des libertés (notamment d’expression), parfois d’incitations à la délation, de fanatisations, de situations génératrice de conflits guerriers (profitables notamment aux groupes financiers marchands d’armes, et évolutions soutenues par des milliardaires comme Elon Musk, s’activant pour le retour de Trump au pouvoir aux USA) y compris entre gouvernements d’extrême-droite comme on peut le constater au proche orient, pour le plus grand malheur des peuples concernés… et que cela atteint la France, où se sont multipliés des atteintes aux droits fondamentaux … pour museler les mobilisations contre des régressions sociales engendrant une paupérisation d’une partie de la population avec des résultats électoraux croissants pour les formations d’extrême-droite récupérant le mécontentement… qui ne sont pas sans rappeler ce qui avait précédé, même si c’était dans un contexte différent, la lente ascension du fascisme pendant plus de 10 années en Europe avant l’arrivée électorale d’Hitler au pouvoir après celle de Mussolini…

Dans le prolongement de spectacles précédents, explorant ‘’le métissage entre le théâtre, les arts visuels, la création numérique et musicale’’, cette adaptation (dès 2020 au Théâtre d’Antibes) du roman de George Orwell, comme celle en 2024 du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (de 1932)[i], justifient pleinement l’imbrication permanente dans 1984 de l’expression théâtrale présentielle et de projections vidéo des divers personnages, étroitement articulées avec des défilements d’images numériques pouvant suggérer des séquences de programmations informatiques, la numérisation des mémoires explorées de la vie des personnages mis en accusation… la scène étant subtilement séparée de la salle comme si tout se déroulait sur un gigantesque écran, avec des transparences de celui-ci se mêlant presque constamment aux projections.

Cette création s’inscrit dans le cadre général du roman dystopique d’Orwell, écrit en 1948, imaginant un avenir très sombre, un monde de mensonge et de dogmatisme généralisé qui en 1984 serait présenté comme divisé en trois superpuissances totalitaires se faisant constamment la guerre pour une quatrième zone ou entretenant un pseudo climat de guerre pour mieux contrôler toute velléité de révolte et d’aspiration à une situation… non assujettie à « Big Brother, entité omniprésente et désincarnée surveillant la population à travers des ‘télécrans’ » et une police permanente de la pensée, sanctionnant tout imaginaire…

Tout en faisant défiler ce contexte, le spectacle se focalise sur 3 personnages principaux :

– celui de Winston Smith travaillant assidument à ‘’la réécriture permanente de l’Histoire au Ministère de la Vérité’’, plutôt docile mais n’adhérant que partiellement aux mensonges en s’efforçant de garder clandestinement trace de tout ce que son travail lui ordonne de modifier du passé réel…

– celui de sa collègue Julia, jeune femme travaillant au Commissariat aux romans, avec qui Winston développera une liaison amoureuse clandestine -interdite- lorsqu’elle lui dévoilera ses rêves de liberté… se rebellant notamment contre les « Deux minutes quotidiennes d’hystérie collective obligatoire cimentant les passions populaires contre un ennemi chimérique » une pseudo figure contestataire (Goldstein), fabriquée pour nourrir docilité et collaboration ‘’heureuse’’ avec le pouvoir du parti dominant…


– celui de O’Brien, responsable de la police de la Pensée au ‘’Ministère de l’Amour’’ (responsable de l’ordre), qui s’est fait passer pour un contestataire proche de Goldstein avant de faire arrêter Winston et Julia ; sa voix est quasiment constante lorsqu’il apparait en surplomb des scènes de torture mentale qu’il fait subir à ses accusés, maintenus attachés comme des marionnettes qu’il piloterait et feraient aussi souffrir physiquement par des décharges électriques tordant les corps de douleur pour les faire se renier et lorsque les réponses ne lui sont pas satisfaisantes ou en phase avec tout ce que lui a appris la surveillance systématique…

Ils sont magistralement interprétés respectivement par Damien Rémy (Winston), Judith Rutkowski (Julia), Paulo Correia (O’Brien) magistralement cynique dans ce rôle, et qui est aussi le responsable de toute la création vidéo.

Un spectacle très réussi, impressionnant et profondément utile à la réflexion pour le présent et l’avenir.
Philippe Laville

Jusqu’au 21 juillet au Festival d’Avignon – chaque jour à 17h10 (sauf relâche le 16 juillet) au Théâtre de l’Oulle, 19 place Crillon, 84000 Avignon ; réservations conseillées au 09 74 74 64 90 (La Factory – Fabrique permanente d’art vivant).
Spectacle en tournée (contacts : Vanessa ANHEIM CRISTOFARI, vanessa@collectif8.com)

Photographies de cette page et du spectacle : Meghann STANLEY


[i] Le meilleur des mondes – en tournée vendredi 4 avril 2025 : Espace NoVa, Velaux (13) https://youtu.be/x46ewssBGsc

Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu