Emmanuel Demarcy-Mota présente une adaptation de Zoo, l’assassin philanthrope, la pièce que Vercors avait tirée de son roman Les animaux dénaturés.

Une équipe d’anthropologues découvre au fin fond de la Nouvelle Guinée une variété d’anthropoïdes, qu’ils nomment Tropis. Très proches de nous par de nombreux aspects, sont-ils pour autant des hommes ? Pour avoir une réponse des légale des Institutions à la question, le journaliste, fiancé de la chef de l’expédition, accepte d’assassiner par une piqûre de strychnine, son enfant né d’une Tropis transportée au zoo de la ville. Avec les membres de l’équipe, il pense que seul un procès permettra de décider ce qui distingue l’espèce humaine des autres animaux.

Résistant, cofondateur des Éditions de Minuit en 1941, signataire du Manifeste des 121 déclarant « le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », Vercors signe en 1952 Les animaux dénaturés. Pour lui, et en cela on reconnaît en lui le résistant qu’il fut, ce qui distingue les comportements de l’homme et de l’animal, c’est que l’animal subit la nature tandis que l’homme est un rebelle qui lutte pour la dominer, un « animal dénaturé ». À ses amis anthropologues qui lui font remarquer, qu’avant de chercher la réponse dans la psychologie ou la morale, il faut d’abord définir l’homme par la zoologie, il demande alors quelle est alors la limite zoologique entre l’homme et le singe.

C’est donc au procès de Douglas Templemore, le journaliste que l’on assiste. Si c’est un bébé humain qu’il a tué, il est un assassin, ce qui ne serait pas le cas s’il s’agit d’une sorte de singe, comme le pense le médecin venu constater le décès. On va voyager de l’expédition en Nouvelle Guinée, où ont été découverts les anthropoïdes, au procès en Angleterre où vont être appelés toutes sortes d’experts : médecins, anthropologues, ethnologues, spécialistes du langage, du comportement animal, un pasteur. Les politiques s’en mêleront aussi car si les Tropis sont des animaux, un homme d’affaire australien est prêt à en élever pour en faire des travailleurs gratuits pour ses usines, ce qui aurait pour conséquence une forte montée du chômage.

C’est le procès qui est au cœur de la très belle mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota. Juge, inculpé, avocat, procureur sont debout sur la scène, à l’avant de laquelle se tient le jury. Les experts appelés à la barre interviennent, appuyant parfois leurs démonstrations de vidéos. Les onze membres de la troupe du théâtre de la Ville sont tous très justes dans leur interprétation de ces personnages. Quand est évoquée la découverte des Tropis, les membres de l’expédition apparaissent en fond de scène en ombres chinoises sur fond de ciel orange et bruit de tonnerre, comme un rappel des ciels tropicaux et de l’orage que représentent les controverses à venir. Pour accentuer le trouble sur le genre, les membres du tribunal revêtent parfois des masques d’animaux, oiseaux, buffles, zèbres par exemple (très belles réalisations de Anne Leray). Les vidéos (Renaud Rubiano) contribuent aussi à ce trouble : ce front, ces yeux, ce squelette, humain ou animal ? Et nous spectateurs tous différents ? Ce sera finalement au jury, après avoir écouté toutes les parties en présence, qu’il reviendra de trancher.

Certes aujourd’hui on n’admettrait pas qu’un animal soit tué délibérément pour résoudre une question comme celle-ci. Mais il n’en reste pas moins que, dans une époque où les évolutions technologiques cherchent à modifier et améliorer l’homme, à remplacer ses organes défaillants, à allonger indéfiniment sa vie, la pièce de Vercors trouve toute sa place. Comme le dit le post-logue à la fin « À quoi ressembleront les hommes du futur, que deviendra Homo Sapiens ? »

Micheline Rousselet

Jusqu’au 12 avril au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, 75008 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h –

Réservations : 01 42 74 22 77 ou theatredelaville-paris.com

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