Créée à Sydney en 2020, cette pièce de l’auteur australien Angus Cerini reprend un crime non élucidé survenu au début du vingtième siècle en Australie. Harry, qui rend visite au fin fond du bush à son ami Jim Barclay chaque mois pour lui porter son courrier, a trouvé la maison vide, juste un mot sur la porte « serai là ce soir ». Depuis Jim n’a pas réapparu et son cuisinier Bamford a lui aussi disparu. Ne reste que le chien de Jim, Baron. Harry a fait appel à un ami Rigall, car « deux cerveaux valent mieux qu’un ». Après la découverte du crâne de Jim, tous deux vont partir à travers une nature sauvage et hostile à la recherche de Bamford qu’Harry soupçonne.

Un chien, deux chevaux et deux hommes, Harry l’inquiet qui veut comprendre et s’énerve facilement et Rigall le froussard qui abandonnerait volontiers la recherche. La parole passe de l’un à l’autre comme une balle de ping-pong, les répliques très courtes claquent comme le vent dans le bush. On alterne narration et description de la nature sauvage qui les entoure. Une langue parlée où les pronoms disparaissent, où les syllabes sont avalées et où les hypothèses tiennent en quelques mots.

Sur le plateau des blocs de mousse gris que les deux hommes retournent comme le lit de la rivière où l’on peut retrouver un corps, ou empilent comme les pentes qu’il faut escalader ou dégagent comme les broussailles qui barrent le chemin. Une lumière zénithale de néons froids qui finiront par s’effondrer comme renversés par la tempête, le bruit du pas des chevaux, les hurlements du vent, les mouches tournant autour d’un cadavre, les aboiements des chiens sauvages dans la nuit, tout cela plonge le spectateur dans une atmosphère inquiétante. Le metteur en scène Jacques Vincey a su aussi trouver deux acteurs suffisamment exceptionnels pour entrer dans cette langue, Vincent Winterhalter et Serge Hazanavicius. Semblant guider leur cheval, ils parlent, jurent, interrogent le chien que Vincent Winterhalter va jusqu’à imiter. Les répliques s’enchaînent au millimètre près, sans aucun temps mort, avec un rythme qui permet au spectateur de ne rien manquer de leurs échanges réduits à l’essentiel.

On pense à la sauvagerie du Cormac McCarthy de La route, au tragique de Faulkner mais aussi à l’absurde de Beckett. Que cherchent ces deux hommes mal assortis que leur quête rassemble ? Un cadavre et ce pourrait être un thriller, mais vu le bruit du pas des chevaux et la sauvagerie des paysages décrits ce pourrait être un western, à moins que ce ne soit une quête plus mystérieuse, une fuite devant la mort ? Envoûtant !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 24 mai aux Plateaux Sauvages, 5 rue des Plâtrières, 75020 Paris – du lundi au vendredi à 19h, le samedi à 16h30 et 20h – Réservations : info@lesplateauxsauvages.fr ou 01 83 75 55 70

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