Nikolaï Fiodorov, père du cosmisme, faisait le projet de conquérir le système solaire dans l’espoir de permettre aux hommes, ces paysans qui se regroupaient dans les assemblées populaires des mirs, la compréhension des affres de l’âme humaine : lutter contre la mort, échapper aux guerres, anticiper la surpopulation. Après la révolution russe, on retrouve, mais débarrassé de son fatras mystique, la trace de ce projet qui offre à l’homme la possibilité d’échapper à la finitude de sa condition en le reliant au mouvement du cosmos. Cette quête devient, après la seconde guerre mondiale, la « conquête » de l’espace avec tout ce que cela suppose de recherche de domination militaire et de maîtrise sur l’environnement, de propagande et de mensonges d’État. Qu’en est-il de l’utopie ancienne et de l’avenir qui se dessine ?

Ce spectacle, imaginé par Alexis Forestier et Itto Mehdaoui (Compagnie Les endimanchés) fut d’abord un projet musical au croisement de la musique industrielle et du punk. Le spectacle présenté dans Volia panic est beaucoup plus ambitieux, à l’image du cosmisme pourrait-on dire. Dans un joyeux capharnaüm d’engins métalliques, plutôt agraires au début puis de plus en plus industriels et high tech, de tubes, de tuyaux, de morceaux de radars, les acteurs mécanophiles s’agitent, montent des engins, vissent, soudent ou escaladent des échafaudages. Tantôt en bleu de travail, tantôt en équipement de cosmonaute, comment font-ils pour ne pas se prendre les pieds dans ce gigantesque bordel ?

Ils sont acteurs, voltigeurs, machinistes, musiciens aussi. Cela grince, cela hurle, les étincelles de soudures trouent l’obscurité, la musique punk explose.

De tout ce désordre savamment organisé ressortent des questions essentielles. Comment cette utopie originelle s’est-elle dissoute dans une recherche de domination militaro-politique, au prix de mises au goulag et de mensonges destinés à cacher les échecs (la mort de la petite chienne Laïka dès son retour sur terre, le premier marcheur dans l’espace Aleksei Leonov qui faillit mourir, etc.) ?  Et aujourd’hui ? Une fille dit aux ingénieurs qu’ils servent de marchepied à quelques milliardaires qui partiront avec leur Tesla et chante qu’avec ses compagnons ils préfèrent « la compagnie de l’oxygène ». On retrouve là l’opposition, inventée par Bruno Latour, entre humains qui s’entêtent à développer une civilisation où l’homme domine la nature et terriens qui chercheraient à trouver des formes de vie où les hommes s’inséreraient dans une communauté de vivants.

Le mariage de la philosophie et du punk sur paysage de conquête spatiale.

Micheline Rousselet

Spectacle présenté aux professionnels dans le cadre du Festival Marto au Théâtre 71 à Malakoff – Tournée à suivre en fonction de l’évolution des conditions sanitaires

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