La nature est vivante y compris dans le fait que des êtres y meurent en permanence alors que d’autres naissent et se développent… Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas un cycle perpétuel au sens d’un cercle fermé sur lui-même. Car tout évolue, change au sein de ce grand vivant qu’est la nature. Et puis il y a l’humain, qui est aussi un vivant naturel mais qui ajoute à la nature des effets de civilisation, des façons de vivre de ce vivant un peu particulier, par exemple la culture de la terre, par exemple celle de la vigne. Mais dans la civilisation humaine, si tout a une cause et une raison d’être, tout n’est pas forcément bon pour le vivant ou pour les vivantes humaines ! Cultiver la vigne avec des pesticides est mortifère, antinaturel, pour la terre et la Terre. Reléguer les femmes hors de la culture de la vigne est aussi « contre-nature », idéologique et culturel au plus mauvais sens du terme, celui de mœurs très discutables ! En général, écarter les femmes de certaines activités au nom d’un masculinisme exclusif voire violent, n’est pas naturel car la nature n’a qu’une loi générale pour affecter des êtres à ces tâches : tout est possible à tout être s’il en a les moyens et une bonne raison. Comme le dirait Spinoza (1632-1677), tout être de la nature a un droit naturel souverain et inaliénable qui correspond exactement à sa « puissance d’agir ». Or, il existe des femmes vigneronnes et donc il est dans la puissance d’agir des femmes de faire aussi du vin et du bon ! Toute entrave venant d’un ordre par exemple patriarcal serait antinaturelle. Il est aussi dans la puissance d’agir des femmes de faire du théâtre et du bon.

Dans Vivantes, spectacle-nature qui plonge au cœur des vignes du Domaine de la Paonnerie sur les pas de Marie Carroget, vigneronne-nature, il n’y a pas que le vin qu’on nous offre à déguster qui est biodynamique, le théâtre qu’on nous donne en champs et sur scène ou cour de ferme, l’est aussi ! En vérité, ce théâtre, il faut bien le nommer par son nom, est écoféministe. Il est même très féminin : Mathilde Monjanel, Louise Hochet, Annie Langlois, Céline Challet, Carole Thibaud, Fanny Sintès de la companie BRUMES, ont l’énergie d’une belle lutte d’émancipation politique, intime et artistique qui a de quoi réjouir, intéresser et enthousiasmer spectateurs et spectatrices !

Tout commence à la tombée du jour par une déambulation sur la ferme de la Reboule, sise en l’Île de la Barthelasse, face à la ville d’Avignon qui bientôt accueillera un autre festival que celui plus discret, organisé par la Garance, Scène nationale de Cavaillon, le Festival Confit.

Au loin, sur la colline des Doms, brille une statue d’or, c’est une vierge qui s’appelle Marie, une femme célèbre et célébrée mais privée de sa fécondité sexuelle et de sa « puissance d’agir », une femme idéalisée mais stérilisée par des siècles de superstitions et de machisme. Dans la pénombre champêtre qui s’installe, des voix de femmes libres étincellent. Elles nous racontent, au moyen d’un casque d’écoute, l’histoire d’une autre Marie qui sur sa vigne de la Paonnerie, a mis sa puissance d’agir au service d’un retour physique et spirituel à la terre et à la Terre.

Après le parcours dans les champs, nous arrivons verre à la main sur la cour de la ferme où scène et chaises nous attendent. Et le spectacle continue, le récit prend de l’ampleur, du volume, de l’image, du son. Il éclate en plusieurs paroles, regards, images d’un puzzle dont les pièces volontairement manquantes sont autant de respirations, de trous d’air où peut se glisser un récit secondaire comme celui de la rencontre entre les artistes et la vigneronne. Ces comédiennes ont l’art de faire de l’art sans en faire, tout en faisant ; elles font exister leur projet dans une simplicité et une vérité qui magnifie la vie plutôt que l’artifice mais sans renoncer le moins du monde à l’artifice et à la convention. Ces comédiennes se revendiquent de Robert Filliou, du mouvement Fluxus, et reprennent volontiers sa formule : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». Ces femmes engagées articulent à merveille action et poésie. Elles ont vécu et travaillé à la Paonnerie et elles ont fait de leur expérience et de leur découverte du monde du vin naturel, le propos de leur théâtre qui devient la prolongation naturelle et poétique de leur action. Ce faisant, elles nous font vivre et ressentir ce lien indispensable et parfois ignoré entre l’art et la vie. Lequel ou laquelle doit primer sur l’autre ? Aucune, aucun ! La vie sans art ne peut être vraiment humaine et un art qui se regarde le nombril manque de vie et d’intérêt.

Se souvient-on de l’étymologie grecque de « poésie » et de l’usage aristotélicien du mot ? L’art est poïésis, « fabrication » dans le champ du sensible. BRUMES fabrique de l’art avec de la vie et cela se voit, s’entend et se goûte dans Vivantes !

Jean-Pierre Haddad

Festival Confit – La Garance, Scène Nationale Cavaillon. Ferme de La Reboule, 1250 chemin de la Barthelasse, Avignon. Vendredi 24 mai 2024. https://ciebrumes.cargo.site/VIVANTES


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