Théâtre : Visages de femmes

Connaissez-vous Jean Metellus, un des très grands poètes haïtiens ? Il fut poète mais aussi romancier et dramaturge, tout en continuant ses activités de neurolinguiste à l’hôpital, en France où il était venu étudier dans les années 1950 et où il est mort en 2014. Ce sont des poèmes extraits de Visages de femmes et Au pipirite chantant que Bruno Fougnies a tissé pour ce spectacle.

Théâtre : Visages de femmes
Théâtre : Visages de femmes

Sur la scène un drap est tendu dans un coin, du linge sèche, un brasero rougeoie comme si nous étions dans un village où passerait une troupe itinérante. On entend le bruit des vagues, de la pluie, la guitare d’un musicien installé dans l’ombre et une femme arrive, grande, belle, noire, un panier sur la tête. Sur le drap volettent des papillons, dont on dit parfois qu’ils sont annonciateurs de mort, et la femme déclare, avant de jeter ses sandales dans le brasero, que c’est là que tout va finir et que c’est un bel endroit pour quitter la vie. Elle chante en créole. Elle dit la terre haïtienne, le souffle du vent, la révolte contre ceux qui ont voulu inculquer la peur et la haine, la lutte pour un monde de progrès où les enfants apprivoiseront la connaissance. Elle porte en elle les figures de femmes révolutionnaires, combattantes, résistantes qui ont fait progresser la cause des femmes, la liberté et l’égalité. Blanches comme Rosa Luxembourg ou Louise Michel, mais surtout noires. Elle devient Lumane Casimir, « la paysanne à la voix d’or » première grande vedette haïtienne, qui vécut libre et mourut jeune de trop d’excès, Joséphine Baker qui ne fut pas que danseuse et chanteuse, mais aussi résistante durant la guerre, Angela Davis et Rosa Parks qui osèrent dire non.

L’actrice haïtienne Freydeline Charles, à l’origine du projet, a crée de nombreux spectacles en Haïti, où elle anime des ateliers de danse, théâtre et peinture. Passionnée par la langue des sourds, elle l’a apprise et s’occupe de l’Association Handi-culture des sourds qu’elle a fondée. La mise en scène de Rubia Matignon est poétique, sensuelle et vibrante comme le texte. Lumane Casimir va quitter ses vêtements quotidiens derrière le drap tendu et revient vêtue d’une robe blanche. L’actrice dit les poèmes, évoque ces femmes puissantes que célèbre Metellus, chante d’une voix grave entre blues et spiritual et danse. Un musicien, Jackson Télémaque, l’accompagne à la guitare ou se sert de son siège comme d’un tambour qui fait retentir l’écho des révoltes ou ranime l’énergie. Elle jettera dans le brasero au fil des poèmes tout ce qui la retenait à la vie puis elle s’allongera au milieu d’un cercle de bougies pour quitter cette vie. Elle nous entraîne dans l’univers lyrique et engagé de Metellus et c’est une très belle découverte.

Micheline Rousselet

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