Le nouveau Théâtre des Déchargeurs vieux de quatre siècles, sous la nouvelle direction dynamique et engagée d’Adrien Grassard, est une scène formidable ! Non seulement on y découvre la jeune création dont beaucoup de femmes, autrices et metteuses en scène, mais également une nouvelle génération de comédiennes et comédiens aussi affamée de jeu que douée sur scène. On y a entendu de jeunes auteurs ou d’autres de haute volée, comme Claudel, mais aussi certains plus inconnus quoique géniaux comme le clown Sol alias Marc Favreau. Il faut ajouter à cela que cette première saison nous fait voyager par les textes : Portugal avec Pessoa, Italie avec Pasolini ou encore Amérique latine et Asie et pour terminer le Canada avec un Focus Québec autour d’un auteur et deux autrices : Marc-Antoine Cyr, Carole Fréchette, Sarah Berthiaume.

Un immense merci aux Déchargeurs pour toutes ces belles livraisons !

Villes mortes de Sarah Berthiaume, finaliste en 2011 pour le prix Michel Tremblay est une tétralogie sur le rapport des urbains d’aujourd’hui à la mort. Mort en groupe ou en privé, mort par surprise comme à Pompéi, mort économique et suicide de désespoir social comme dans le nord Québec à Gagnonville où seuls les travailleurs perdent, mortelle rencontre de morts-vivants comme dans les fictions de zombies, mort des rêves et des envies du fait de la guerre comme à Kandahar. Les quatre contes fantastiques qui composent Villes mortes portent et suscitent une réflexion polymorphe. Textes imaginatifs, jeux inspirés, scénographies inventives et chorégraphies impromptues font éclore une question nécessaire et vitale : comment vivre toutes les morts dont la vie des villes est faite, mort de gens ou mort de villes elles-mêmes ? Peut-on par exemple parcourir Naples sans être hanté par la belle Pompéi qui d’un coup de colère du grand frère Vésuve fut soudainement figée dans une éternité minérale un certain 28 août de l’an 79 de notre ère ? Comment vivront demain les habitants de Kharkiv ou Marioupol, exilés revenus dans une ville de revenants ?

Les quatre héroïnes-conteuses racontent et jouent leur propre histoire mêlée de celle des autres au présent, au passé et à l’imaginaire qui n’est pas un temps certes, mais un espace ouvert où l’on peut « vivre » tous les temps et toutes les situations possibles, réalistes ou non. Cela va des fresques érotiques du lupanar de Pompéi jusqu’à une course frénétique pour échapper à des zombies en passant par l’asphyxie sociale d’une ville minière fermée avant même d’avoir été terminée.

Ruthy Scetbon, Héloïse Logie, Anahid Gholami Saba et Ségolène Marc évoluent dans quatre scénographies distinctes de Noémie Richard assistée de Louise Robert. Elles ont créé avec presque rien comme une grande bâche plastique et pour chacune un univers idoine, l’imagination du public fortement sollicitée faisant le reste – nous croyons voir comme des films se dérouler sous nos yeux. Une foultitude d’affects peuple ces Villes mortes bien plus vivantes que les Villes de pierre de la place de la Concorde : angoisse, emprise, folie, oppression, libération, joie, espoir. Elles nous entraînent avec elles à un rythme soutenu.

Le texte en québécois de Sarah Berthiaume, formée comme actrice au célèbre collège Lionel Groulx de Sainte-Thérèse (Québec), est déjà par lui-même un étrange dépaysement puisqu’il fait entendre à la fois notre langue et une autre langue.

Ne manquez pas ce voyage au cœur de vies et de villes à la fois autres et nôtres.

Jean-Pierre Haddad

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris ; jusqu’au 21 juin, du dimanche au mardi à 19h15. Infos et réservations au 01 42 36 00 02 ou https://www.lesdechargeurs.fr


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