« La vie, ce n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit » telle semble être la leçon désenchantée que fait entendre la dernière phrase du premier roman de Maupassant paru en 1883, mémorable portrait d’une vie perdue. Jeanne, l’héroïne, rêve de se noyer dans le bonheur et cherche à remplir sa vie avec un amour, le mariage, une amitié, la maternité. Elle passe du couvent au cocon familial, puis au rêve du mariage. « Maintenant elle était libre d’aimer, elle n’avait plus qu’à le rencontrer lui !Il serait lui, voilà tout ». Or sa vie conjugale s’avère être une suite de trahisons. Elle abandonne alors le rôle d’épouse déçue pour celui de mère dévouée, puis après l’abandon du fils, elle s’apprête à se lancer avec le même élan dans celui de grand-mère. Très égoïstement, elle passe à côté de son temps, dérive de désastre en désastre et ce n’est qu’auprès de paysans compatissants, sa servante Rosalie, qu’elle trouvera l’aide qui lui permettra de survivre.
Clémentine Célarié a souhaité porter le roman à la scène et a demandé à Arnaud Denis de la mettre en scène. Le rythme puissant du roman, la densité du texte, la force de cette histoire de vie perdue, les évocations de la mer, de la lumière et des ciels changeants de Normandie, tout cela plaidait pour une adaptation théâtrale. La mer est un vrai personnage dans le roman, les falaises normandes sont donc le décor de cette vie. L’actrice grimpe sur ces falaises au sol, tandis qu’un effet vidéo crée leur grandeur sauvage sur le fond de la scène. Elle s’y recueille, parfois avec le désir de mourir, elle y puise aussi la force de repartir. La création sonore évoque le bruit des vagues et la pluie, les lumières jouent des ciels changeants et des clairs de lune.
Clémentine Célarié est seule en scène, en costume d’époque, longue jupe large et petit boléro cintré. Elle exprime toutes les nuances qu’exige le rôle de Jeanne, de son mari, le vicomte Julien de Lamare, de ses parents, des voisins élégants, mais aussi de Rosalie, sa servante et sœur de lait. Toute en subtilité, sans appuyer, elle rend sa voix plus basse ou prend légèrement l’accent des paysans normands. On goûte avec délice le texte de Maupassant, ses descriptions des paysages comme celles des sentiments. L’actrice s’appuie sur une canne et c’est tout le poids des désillusions que l’on ressent, elle défait ses cheveux, sautille et bat des mains et c’est tout l’enthousiasme de la jeunesse, ses emballements et sa naïveté, qui sautent au cœur. Elle se déplace, s’agenouille, enlève sa veste, se coiffe d’une capeline, ouvre son ombrelle, ce sont tous ces bonheurs dont se grise Jeanne et les chagrins qui l’abattent que l’on éprouve.
On se souviendra longtemps du texte de Maupassant et de Jeanne grâce à l’élégance et à la finesse de l’interprétation remarquable de Clémentine Célarié.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 16h30
Théâtre des Mathurins
36 rue des Mathurins, 75008 Paris
Réservations : 01 42 65 90 00
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