La violence commise au présent est souvent une violence subie au passé. C’est un peu comme dans le monde des vampires : si on est mordu par un vampire, on devient vampire à son tour. On rétorquera : comment alors est apparu le ou la premier ou première vampire ? Stop, on nous a déjà fait le coup avec Adam ! En fait « vampire » ou « Adam » sont des mythes et/ou des métaphores : le second de la naïveté sanctionnée, le premier du « goût du sang ». « Goût du sang », n’est-ce pas aussi une métaphore ? Sans doute celle d’un penchant pour le meurtre ou la violence ; d’une tendance à suivre des pulsions d’agressivité dans le but de nuire à autrui et de jouir des maux qu’on lui cause ; soit une forme de sadisme. Il y a le goût du sang du côté de l’agent, c’est le vampire. Y aurait-il celui côté victime ? On connaît celui côté spectateur mais le public d’Une vampire au soleil resterait sur sa faim (ou soif) s’il venait pour une histoire de vampire et de sang…

De quoi s’agit-il alors ? Une femme parle dans le noir, noir de la scène, noir de son cœur. Elle dit son attirance pour le soleil. S’est-elle brûlée l’âme à le regarder en face ? « Brûlée » serait encore une métaphore… Cette femme a peut-être subi des violences ou bien s’est retrouvée sous l’emprise d’un amant. Elle évoque une rencontre avec « l’homme-barrière ». Cette histoire fait barrage, un verrouillage intime. Est-ce le soleil ou la violence qu’elle a vu en face, sans pouvoir se détourner ? « Je ne sais pas » répète-t-elle les doigts crispés sur son ventre. On ne sait pas non plus car l’histoire est lacunaire, son sens subliminal. Dans les blancs des phrases, le récit de mots prononcés se double d’un récit de maux ineffables. Ce qui est sûr, c’est que la tentation de la violence la travaille de l’intérieur.

Et ce guitariste dans la pénombre derrière elle ? Il est assis sur un banc et distille une poésie électrique et envoûtante. Il chante par exemple « Je te bouffe »… Là aussi, une chose est sûre : il joue autant que la comédienne mais une partition en double parallèle. Les deux textes, celui parlé et celui chanté et guitaré sont comme deux voies : la première sans issue, la seconde sans fin – N’est-ce pas au fond la même chose ?  

Le guitariste a aussi écrit le texte et réalisé la mise en scène, c’est Marien Tillet. La comédienne, Marik Renner, a collaboré à l’écriture. Sur scène, leur duo produit un écho mais il est impossible de savoir de qui provient le premier son tant ils avancent ensemble, sans pour autant se ressembler. Harmonieuse dissociation. L’Un se fait Deux à moins que ce soit le Deux qui fasse Un mais sans confusion. Peut-être que la dissociation, le découplage du Un est aussi le sujet du spectacle. Comment recoller les morceaux d’une être qui a été mise à côté d’elle-même par une violence inouïe, par une cruauté qui l’a obligé à s’absenter d’elle-même ?  

La compagnie Cri de l’Armoire nous offre-là un opus de grande qualité, fidèle à ses recherches du côté de l’étrange et du fantastique. Cette armoire fermée à double tour mais d’où s’échappe un cri, c’est encore et toujours l’humain, sa psyché, son inconscient tantôt bruyant tantôt bruissant. Une vampire au soleil se veut un « road trip mental ». Il ne faut pas s’étonner d’une certaine errance du récit car c’est la loi du genre que de ne pas savoir où l’on va exactement. En revanche, le plaisir et l’intérêt consistent à suivre les marcheurs-rêveurs. Nul doute que les deux acteurs tracent dans une demi-nuit et à demi-mots la trajectoire d’une expression artistique exigeante mais libératrice, dessinant une pleine lune cathartique…

Osez rencontrer cette vampire qui mord à pleins crocs dans l’art dramatique ! Une expérience théâtrale marquante.

Jean-Pierre Haddad

Avignon – Off, La Manufacture, 2 bis rue des Écoles. Du 7 au 24 juillet. Informations et réservations : 04 90 85 12 71 & https://www.festivaloffavignon.com/programme/2023/une-vampire-au-soleil-s34219/ Relâche les 12 et 19.


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