Cela fait trente-cinq ans que Hanta passe au pilon des tonnes de livres victimes de la censure ou de l’indifférence des lecteurs. Il écrase, il boit de la bière, il écrase encore, il erre de plus en plus solitaire dans les rues de Prague. Il lit aussi certains des ouvrages, qu’il arrache à la mort et entasse chez lui au point de ne plus laisser qu’un minuscule passage entre la chambre, les toilettes et la cuisine. Ces moments arrachés à la destruction des livres font diminuer son rendement et provoquent la colère de son chef, alors que s’annoncent de nouvelles presses automatisées qui éviteront d’avoir seulement à toucher les livres. Il ne lui reste plus qu’à suivre le sort de ses chers livres.

Théâtre : une trop bruyante solitude
Théâtre : une trop bruyante solitude

Une trop bruyante solitude est un très court texte de Bohumil Hrabal, l’un des plus grands auteurs tchèques du vingtième siècle, dont certains ouvrages furent condamnés au pilon dans les années soixante-dix. C’est une fable désespérée à l’humour grinçant qui décrit cette machine à broyer les esprits dont Hrabal fut lui-même victime. Dans un style qui va du réalisme à l’expressionnisme voire au surréalisme, il peint le portrait d’un homme en révolte, un obscur ouvrier qui porte en lui tous les grands noms de la philosophie et de la poésie qui l’ont marqué (Sénèque, Platon, Goethe, Novalis), un homme capable de dire « Quand je rencontre une belle phrase, je la suce comme un bonbon ». Cet homme résiste contre le monde dominé par la technologie et la productivité, contre la société aseptisée et inhumaine, où la culture n’a plus sa place, qu’il voit naître devant lui.
Laurent Fréchuret signe une mise en scène très sobre. Sur fond noir l’acteur se dresse sur une petite caisse, image de cette résistance solitaire et farouche. Le son, signé François Chabrier, crée un climat étrange avec le bruit de la presse écrasant les livres ou les cris des petites souris qui ont élu domicile dans les livres en attente. Sur la caisse se tient Thierry Gibault, massif, les bras ballants, les bras et la tenue d’ouvrier maculés d’encre d’imprimerie. Dans ce visage tâché, le regard tantôt fiévreux tantôt résigné nous emprisonne. Il est Hanta, mélange de rudesse, de pudeur, d’inquiétude, de poésie aussi.
Il est urgent d’aller entendre la voix de Hanta, de cet homme plein de douceur qui refuse de tout son être ce monde, qui ne sait plus adorer que le dieu productivité et rentabilité et pour qui la culture n’a plus de valeur. L’interprétation qu’en donne Thierry Gibault restera longtemps gravée dans notre mémoire.

Micheline Rousselet

Les lundis à 21h15 et les mardis à 19h15
Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 48 06 72 34
Reprise du 6 au 30 juillet au festival d’Avignon off au Théâtre de Halles à 16h30


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