Adapter la trilogie new-yorkaise de Paul Auster était un pari difficile tant les trois courts romans qui la composent forment un ensemble littérairement dense, complexe et étrange. L’auteur n’en avait jamais accordé les droits d’adaptation mais avait finalement accepté celle d’Igor Mendjisky. Il n’a malheureusement pas pu la voir, la mort l’ayant surpris il y a quelques mois.

Dans la ville de New-York, des personnages se croisent, se percutent, se répondent d’un livre à l’autre. Leurs identités se multiplient quand elles ne deviennent pas interchangeables. Dans le premier volume Cité de verre, un écrivain de série policière est pris par erreur pour un détective privé du nom de Paul Auster et accepte d’enquêter sur un personnage douteux Peter Stillman qui tente d’inventer un nouveau langage pour sauver le monde de l’incompréhension. Dans le second Revenants, un détective privé Bleu est embauché par Blanc pour espionner Noir. Il le fera des années durant, observant Noir par la fenêtre et rendant régulièrement son rapport à Blanc. Bleu en viendra à vouloir se confronter à Noir pour tenter de comprendre la raison de l’enquête puisque Noir lorsqu’il ne s’adonne pas aux tâches du quotidien passe ses journées à écrire à son bureau. Dans le troisième volet Chambre dérobée un jeune homme prend la place de son ami d’enfance brusquement disparu, épouse sa femme, adopte son enfant et publie ses manuscrits au point de se fondre dans la personne de son ami disparu.

Rendre sur scène l’univers de Paul Auster avec ce mélange d’enquêtes, de détectives privés, d’écrivains qui disparaissent, où « je est un autre », à moins qu’il ne soit personne, paraissait difficile. Igor Mendjisky s’y est attaqué, séduit par cette trilogie mi-policière mi-métaphysique où Paul Auster se livre, avec humour, à un exercice d’autodérision par rapport à son métier d’écrivain. Le décor renvoie à New-York, avec ses immeubles de briques rouges et ses escaliers métalliques extérieurs. La ville se dissout dans une atmosphère bleutée digne de l’univers de David Lynch, imprégnée de jazz avec la voix de Rafaela Jirkovsky qui conclut chaque volet. Sur le plateau sonnent des téléphones, comme dans les films noirs américains des années cinquante, et passent des personnages, souvent accompagnés de leur double, des textes projetés envahissent jusqu’au sol. Au-dessus du plateau, à jardin, un bureau celui ou travaille Noir qu’observe Bleu ; à cour, un studio de radio où Igor Mendjiski assure la narration dans les deux premiers volets, avant de devenir le jeune homme de Chambre dérobée. Si l’on se perd un peu dans la construction très intellectuelle de Cité de verre où les personnages n’en sont pas vraiment, on se prend facilement au jeu dans le second et on adhère vraiment au dernier volet où on retrouve les personnages des deux volets précédents marchant parfois côte à côte. Dans ce jeu mystérieux où la valse des identités est incessante et où on ne sait jamais vraiment qui est qui, Igor Mendjisky s’amuse à faire tantôt interpréter le même personnage par des acteurs différents tantôt plusieurs rôles par un même acteur. On remarque particulièrement Pascal Greggory dans le premier et dans le dernier volet en Peter Stillman, d’abord universitaire voulant devenir le maître des mots puis éditeur. Est-ce le même ? En outre il incarne aussi le fils de Peter Stillman ! Ophélia Kolb incarne la femme de l’écrivain de série policière Quinn dans Cité de verre mais aussi l’épouse de l’écrivain disparu dans Chambre dérobée.

Un rubik’s cube mystérieux et facétieux où, en tournant les faces, on se perd dans le labyrinthe des identités.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 novembre au Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue de Abbesses, 75018 Paris – du mardi au samedi à 19h30 (sauf le samedi 30 à 15h), le dimanche à 15h – Réservations : 01 42 74 22 77 ou theatredelaville-paris.com

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