Thomas Quillardet nous propose de suivre le quotidien de La Une de 1986 à 1994, une époque riche en événements, l’accident nucléaire de Tchernobyl, la mort de Malik Oussekine sous les coups de la police, la chute du Mur de Berlin, les élections présidentielles de 1988, le suicide de Pierre Bérégovoy, l’exécution des époux Ceaucescu. Et cette chaîne de télévision est elle-même bousculée. Privatisée et rachetée par Francis Bouygues, elle devient TF1.
Construite à partir d’un minutieux travail d’enquête dans les archives de l’INA et d’interviews auprès de journalistes qui ont vécu ces années, la pièce de Thomas Quillardet est absolument passionnante. On vit à l’intérieur de la rédaction, on y voit la diversité des journalistes, ceux qui croient plus ou moins la parole officielle et ceux qui jouent vraiment leur rôle de contre-pouvoir (bel exemple pour ceux qui pensent encore que les media sont aux ordres du pouvoir et préfèrent s’en remettre aux réseaux sociaux !). On voit la naissance de ce que la privatisation a permis. Francis Bouygues, coaché avec son équipe par Bernard Tapie pour « passer l’examen » devant le CSA, promet de donner la priorité à la culture avec concerts, théâtre, spectacles lyriques aux heures de grande écoute ! Promesses jetées à la poubelle sitôt TF1 obtenue. On avait dit à Bouygues qu’au vingt et unième siècle celui qui dominerait les télécommunications et les media « serait le maître du monde ». Il s’attelle à la tâche, ses trois objectifs, sont l’audience, l’audience, l’audience ! Et il en affiche les chiffres sur tous les murs. Donc place aux séries débiles, pressions pour éviter les sujets qui fâcheraient les annonceurs. Il faut de l’information rapide (« trois heures de soirée électorale pour donner un résultat, c’est bien long, on s’ennuie »), de l’information spectacle, des sujets qui « intéressent » les téléspectateurs (la pizza en trois épisodes !).
La pièce est aussi souvent très drôle, pointant avec humour les ratés, comme l’absence de TF1 à Berlin lors de la chute du mur (« on est la seule télé qui va parler de la chute du mur 24 heures après sa chute ») et les réussites, comme le débat Le Pen Tapie. On y entend le choc des ambitions personnelles, les méandres obscurs des promotions, les états d’âme de ceux qui envisagent de partir après la privatisation mais restent, convaincus par un chèque conséquent !
Faire vivre la télévision au théâtre supposait dit Thomas Quillardet de « ne pas se laisser envahir par les codes de la télévision ». Donc pas d’images vidéos, pas d’écran, seulement une télé vue de dos dont les images sont commentées par les journalistes. Autour des tables d’une salle de rédaction, la troupe de onze interprètes (Agnès Adam, Benoît Carré, Blaise Pettebone, Bénédicte Mbemba, Josué Ndofusu, Jean-Baptiste Anoumon,Charlotte Corman, Florent Cheippe, Émilie Baba, Titouan Lechevelier, Anne-Laure Tondu) passent d’un rôle à l’autre sans chercher à singer leur modèle. Ils sont tous très crédibles avec leurs petits problèmes personnels (« tu peux me ramener ce soir ») et leurs inquiétudes, dans ce moment de bascule où les règles du privé s’immiscent dans le public, des règles dont on sait qu’elles vont bientôt déteindre sur toutes les autres chaînes.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 22 janvier au Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris – du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 42 74 22 77
En tournée ensuite : 25 et 26 janvier La Coursive à La Rochelle, le 29 janvier à l’Equinoxe à Châteauroux, 1er et 2 février Le Grand R de La Roche-sur-Yon, 4 février au Théâtre d’Angoulême, 22 et 23 février La Rose des Vents à Villeneuve d’Ascq, le 26 février à La Passerelle à Gap
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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