Jean Hatzfeld, journaliste à Libération, a recueilli les récits de prisonniers hutus condamnés après le génocide des Tutsis perpétré au Rwanda entre avril et juillet 1994 .Mis en scène et surtout en voix par Dominique Lurcel, ces témoignages de copains rwandais hutus emprisonnés sont factuels et glacent le sang. Leurs récits se font sur un ton presque badin dénué de tout affect alors que ce qu’ils décrivent est l’horreur même. D’une voix posée, sans jamais trahir aucune émotion ils nous racontent comment ils ont massacré à la machette tout ce que leur village et les collines alentours comptaient de Tutsis, ceux-là même avec lesquels ils jouaient au foot, partageaient des repas ou des verres au cabaret, ceux-là même avec lesquels ils étaient assis sur les bancs des écoles ou des églises. C’est dans les marais dans la commune de Nyamata au sud de Kigali que 50 000 Tutsis sur 59 000 ont été assassinés en un mois. Encadrés par des miliciens ou des responsables locaux, les villageois hutus sont allés « couper » du Tutsi comme auparavant ils allaient couper le bois ou le sorgho. Pour eux, ce qu’ils coupent sont des choses dénuées de toute humanité. Les bourreaux, des gens ordinaires, sont devenus des tueurs du quotidien. Aucun d’entre eux ni leurs compagnes ne se sont émus de cette élimination des hommes, des femmes, des enfants tutsis vus alors comme des choses inutiles à éliminer comme on défriche une forêt. Chacun fait froidement le récit de cette banalisation de la monstruosité. Mais alors une question se pose : comment cela a-t-il été possible ?C’est encore à travers les témoignages des prisonniers que l’on a quelques indices. Ils évoquent la révolution rwandaise de 1959 à 1961 qui a vu le pays passer d’une colonie belge avec une monarchie tutsie à une république indépendante dominée par les hutus, les blagues ethniques que les parents échangent entre eux devant les enfants qui les ont entendus et qui s’en sont nourris. Ils nous disent combien cela germait depuis longtemps quand l’assassinat du président en 1994 a été le détonateur du génocide. Mais ils disent aussi la certitude de ne rien risquer, l’absence de responsabilité car ces tueries étaient ordonnées par les supérieurs et exécutées en groupe, les avantages matériels qu’ils en ont retirés alors qu’avant leur vie était dure, l’absence de Dieu : les tueries se faisaient dans les églises et jamais Dieu n’a montré sa réprobation. Personne ne leur a dit que c’était mal, même leurs femmes ne se révoltaient pas alors qu’elles savaient qu’ils violaient des femmes tutsies. A aucun moment, la question du bien et du mal ne s’est posée.

La force de la mise en scène de Dominique Lurcel tient dans la volonté de faire toute la place à la mise en voix de ces témoignages issus du livre de Jean Hatzfeld et au plus près des spectateurs. Les quatre comédiens, Céline Borthorel, Omar Mounir Alaoui, Maïa Laiter, Tadié Tuéné, tous incroyablement stoïques et neutres, commencent leurs récit au milieu des spectateurs comme pour mieux faire comprendre qu’ils sont comme tout un chacun, nos « avoisinants ». Sur le plateau, serrés les uns contre les autres, dos au mur gris, ils poursuivent leurs témoignages, en occultant tout sentiment de culpabilité. La respiration grave et lancinante de ces effroyables paroles vient de la contrebasse de Yves Rousseau qui, tout en en soulignant la dramaturgie, vient en apaiser les effets par cette respiration musicale.Vient en fin de « spectacle » la question du pardon mais que vaut cette notion quand les ingrédients de la haine sont sans cesse resemés.L’intérêt du travail de Jean Hatzfzeld et de Dominique Lurcel est de nous mettre en alerte et de tout mettre en œuvre pour que l’impensable n’arrive plus.

Une mise en voix et en espace d’un génocide du XXème siècle à aller voir et entendre absolument dès l’adolescence pour mettre les consciences en éveil à l’heure où se banalisent les exclusions de tout type.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 12 mai, du jeudi au samedi à 21h, Du jeudi au samedi à 21h, le samedi et dimanche à 16h30 – Théâtre de l’Epée de Bois, route du Champ de Manoeuvre, Paris 12ème – Réservations : 01 48 08 39 74 – le jeudi 2 mai, Pierre Lépidi (Grand reporter/ Le Monde). Auteur de Murabeho à l’issue de la représentation de 21h, le vendredi 10 mai, Jean-François Dupaquier, historien du génocide des Tutsi à l’issue de la représentation de 21h, le samedi 11 mai, Maria Malagardis, journaliste (Libération), documentariste  (Rwanda, vers l’apocalypse, actuellement sur F5) et romancière (Avant lanuit) à l’issue de la représentation de 16 h 30, le Dimanche 12 mai, Catherine Coquio, universitaire  et historienne, études sur les génocides – à l’issue de la représentation de 16 h 30.

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