
Eric Ruf a souhaité confier à Elsa Granat une de ces « revisitations » des pièces du répertoire qu’il aime tant et dont elle s’est fait une spécialité. Donc La mouette de Tchekhov, mais revisitée en Une mouette. Elsa Granat ouvre la pièce par cinq séquences composées à partir de courts textes de Tchekhov qu’elle voit comme un récit des origines, un préquel selon le vocabulaire des séries. On y voit d’abord Arkadina plongeant dans ses souvenirs de jeune mère et de jeune actrice sacrifiant son fils Treplev à son art, puis on voit ce dernier adolescent, jouant avec Macha des extraits de Shakespeare. Enfin Treplev adulte fait entrer le décor. On est à la campagne et La mouette, la vraie peut commencer. On ne peut s’empêcher de penser que ce prologue beaucoup trop long n’apporte pas grand chose, tout comme le final où Elsa Granat fait jouer par Arkadina les mots de l’Andromaque de Racine pour exprimer sa douleur après le suicide de son fils. On peut préférer le final de Tchekhov, sobre et poignant, Dorn le médecin annonçant en aparté à Trigorine le suicide de Treplev afin qu’il prévienne Arkadina sa mère.
Quand commence La mouette, on est à la campagne mais une campagne volontairement très théâtrale figurée par de grandes toiles peintes. Les personnages s’assiéront sur des chaises de jardin pour la représentation de la pièce écrite par Treplev, que joue Nina et dont se moquent Arkadina et son amant Trigorine, figés dans leur vision classique du théâtre, la seule valable selon eux. On retrouve bien le cœur de la pièce de Tchekhov, le refus par les anciens de la nouveauté dans l’art, les jeunes empêchés par les anciens de trouver leur voie pour s’affirmer.
Pour le dernier acte, les toiles figurant une campagne riante laisseront place, après un orage qui fait comme exploser la salle Richelieu sous le bruit du tonnerre, à un décor froid aux tons gris et bruns, celui des bords du lac devenu mortifère après le départ de Nina, Arkadina et Trigorine. Sorine le frère d’Arkadina est mourant, Macha, faute d’avoir réussi à se faire aimer de Treplev, s’est résignée à épouser l’instituteur, Treplev a publié mais doute de sa vocation et se désespère de l’abandon de Nina.
Si les partis-pris d’Elsa Granat ne sont pas pleinement convaincants, il reste une bonne raison d’aller voir Une mouette, ce sont les acteurs qui sont tous exceptionnels (Julie Sicard, Loïc Corbery, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Julien Frison, Marina Hands, Birane Ba et Dominique Parent). On retiendra particulièrement Marina Hands. Elle incarne une Arkadina archétype de l’artiste libre, mettant son art au-dessus de tout, qui aimante tous ceux qui l’entourent, son frère, son amant Trigorine, son fils qui rêve de lui plaire et d’être admiré par elle et même Nina. Loïc Corbery incarne un Trigorine séduisant qui croque la jeunesse de Nina avant de revenir lâchement au confort de la vie de couple avec Arkadina. Julien Frison campe un Treplev plein d’ambition qui rêve de nouveauté dans l’art, qui voudrait éblouir sa mère par son talent et qui aime passionnément et désespérément Nina, à laquelle Adeline d’Hermy donne sa fraîcheur, ses rires, ses rêves jusqu’au moment où elle sera piétinée par la vie. Elle est bouleversante dans la dernière scène quand elle est face à Treplev, hésitant « je suis une mouette… non, je suis une comédienne », désespérée mais sûre de sa vocation. Mais on peut regretter qu’Elsa Granat la fasse jouer sur un mode hystérique. Il appartiendra au spectateur de juger les choix faits par la metteuse en scène.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 15 juillet en alternance à la Comédie Française, salle Richelieu, Place Colette, 75001 Paris – matinée à 14h, soirée à 20h30 – Réservations : comedie-francaise.fr – jours et horaires sur le site comedie-francaise.fr/en
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