L’héroïne de la pièce d’Ibsen, Nora, est devenue l’archétype de la femme, qui, à un moment de sa vie, refuse la place que lui assignent les hommes dans la société. La « petite alouette » a un jour emprunté pour permettre à son mari malade de se soigner, sans rien lui dire et en faisant un faux. Lorsque son mari est nommé directeur de la banque où il travaillait, Nora se réjouit car le couple va être plus à l’aise et elle pourra finir de rembourser sa dette. C’est le moment où elle se voit harcelée par son créancier, Krogstad, que son mari veut renvoyer, parce qu’il a autrefois lui aussi commis un faux en écriture. Or emprunter, falsifier et mentir, c’est tout ce que hait Torvald, le mari de Nora.

Théâtre : une maison de poupée
Théâtre : une maison de poupée

Philippe Person a adapté la pièce en la réduisant à une heure trente et en la centrant sur ses thèmes majeurs : l’importance de l’argent, la rigidité morale de Torvald, qui hait le mensonge et se soucie plus que tout de son image dans la société et enfin la place de la femme dans cette société. Concentrée ainsi, la pièce n’en prend que plus de force. Ibsen écrivait : « Il y a deux sortes de conscience, une qui est propre à l’homme et une autre toute différente, qui est propre à la femme. Ils ne se comprennent pas mutuellement ; mais la femme est jugée dans la vie pratique selon la loi de l’homme, comme si elle était un homme et non une femme ». Tout le drame de Nora est là. Elle n’a jamais été considérée comme une personne véritable par ceux qui l’aiment. Elle est passée du statut d’enfant-poupée pour son père à celui de petit oiseau pour son mari. Elle a fait un faux. Cela lui semble conforme à ses valeurs, elle l’a fait par amour, pour sauver un mari à la santé alors menacée. Mais cet homme, qui l’aime, la considère avec des yeux masculins, est prêt à la sacrifier sur l’autel de sa réputation et la condamne au nom du respect de la loi. Lorsque Nora comprend cela, sans jamais élever la voix, sans calcul, elle va prendre une décision radicale qui va lui permettre d’affirmer enfin sa condition de sujet.

Philippe Person a placé les personnages dans un salon simple avec deux chaises, une table et un arbre de Noël. Devant un peu de neige, au fond une vitre qui permet de voir ce qui va causer le trouble puis l’angoisse de Nora, l’arrivée de Krogstad et la boîte aux lettres. Une porte conduit au bureau du mari. Ce décor, associé à une musique très cinématographique, contribue à créer une inquiétude d’abord diffuse puis de plus en plus troublante.

Florence Le Corre incarne avec talent l’évolution de Nora. D’abord vive, avec sa robe élégante et ses escarpins, jolie femme un peu dépensière, en porte à faux face à la situation de son ancienne amie Kristine (Nathalie Lucas) qui se retrouve veuve et pauvre, elle s’angoisse de plus en plus, danse comme une folle pour retarder le moment où son mari saura, avant de se redresser et de devenir, quoi qu’il lui en coûte, une femme indépendante. C’est une Nora dont on se souviendra. Philippe Calvario incarne un Torvald raide, prisonnier de ses préjugés, qui cherchera à se faire pardonner en s’agenouillant devant Nora, mais trop tard, trop de mots destructeurs les séparent désormais. Philippe Person fait évoluer avec talent Krogstad. Personnage menaçant, blessé, il va accepter de prendre le risque d’un nouveau départ.

La pièce d’Ibsen est toujours aussi fascinante. Cette adaptation et ses interprètes la gravent dans l’esprit des spectateurs pour un long moment.

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 21h

Théâtre du Lucernaire

53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34


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