Elle a la trentaine à peine passée. Elle est jolie, élégante, enjouée, peut-être un peu superficielle. Elle s’apprête à recevoir à dîner ses parents et la famille de son frère. Ils seront huit à table.

Elle met le couvert pendant que la cuisinière invisible, à qui elle s’adresse tout au long du monologue, prépare le repas.

Elle la tutoie. Elle lui parle de tout et de rien. D’elle, de son rapport aux hommes, de sexe, de ses expériences d’adolescente, de Roberto, de ses rêves de crocodiles….

L’interlocutrice qu’on ne voit jamais et qui ne dit mot est une étrangère. Elle parle une autre langue, pratique une autre religion, a d’autres centres d’intérêt, d’autres manières. Pas grand-chose à voir avec elle

Il y a dans l’empressement à dire, dans le comportement de cette bourgeoise intarissable, des relents de colonialisme, de paternalisme.  » Vous serez là après le départ des invités pour tout ranger. Moi, je ne sais pas ranger… »

Mais que cache cette femme seule derrière son débit de paroles, derrière ses passages du coq à l’âne. C’est peut-être bien une fêlure, cette légère blessure.

Et si elle troque sa tenue d’intérieur contre une robe très « couture » puis contre une autre robe écarlate et habillée pour enfiler finalement une tenue « jean-baskets » qu’elle conservera jusqu’à la fin, on peut tout penser.

Que, peut-être personne ne viendra dîner, que la cuisinière à qui elle déverse son flot de paroles n’existe pas. Penser tout autant qu’elle est heureuse de recevoir une famille qui n’est plus venue chez elle depuis longtemps, ses parents vieillissants qu’on « aura très vite l’impression de connaître depuis toujours ».

L’écriture de Laurent Mauvignier est ciselée, précise, ciblée et derrière une certaine superficialité, touche à l’émotion. Elle ressemble à un mécanisme d’horlogerie et tout le temps que Johanna distille le texte, on a l’impression que se tisse une sorte de dentelle ou surviendrait soudain, de temps en temps, un accroc.

«  Une légère blessure  » est un moment de théâtre fragile, menacé par un constant déséquilibre, une rupture qui tient au rapport entre la bonne humeur, l’enthousiasme du personnage et le léger malaise qui s’installe.

Magnifique.

Francis Dubois

Théâtre du Rond-Point 2 bis avenue Franklin Roosevelt Paris 8ème.

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) 01 44 95 98 21 / www.theatredurondpoint.fr

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