
Florence Huige, auteure et comédienne seule en scène, nous raconte avec une très grande intensité sa rencontre en automne 2011 avec une femme aux cheveux orange qu’elle prend pour une SDF dont elle apprendra en 2013 quand elle découvrira son assassinat qu’elle est Sakine Cansiz, une légende de la cause kurde, une des fondatrices du PKK et une ardente avocate des droits de la femme. Son attitude, ses expressions de visage et son timbre de voix font exister avec une grande force les différents personnages. Lors de la rencontre avec la femme aux cheveux orange qui dira se prénommer Sara, elle est elle-même, la comédienne, écrivaine qui aime observer les autres mais est aussi pleine de préjugés : cette femme avec des sacs plastiques, une tenue dépenaillée ne peut être qu’une SDF. Elle est aussi Samia, son amie, une jeune femme marocaine, pleine d’entrain, passionnée par la politique internationale et Sara, l’étrangère à la voix rauque et à l’élocution lente qui martèle les mots avec force. Florence Huige nous fait vivre cette rencontre comme si on y était et elle nous fait entendre ses réflexions intérieures qui ne manquent pas d’autodérision : pourquoi arbore-t-elle ce sourire béat quand elle lui parle? Sara est-elle vraiment ce qu’elle imagine d’elle ? Les propos de Sara où elle raconte qu’elle a été torturée, que ceux qui la côtoient risquent la mort, qu’elle est menacée par RG … reflètent-ils la réalité ou est-elle une mytho ?
Quand le 10 janvier 2013, elle apprend aux actualités la mort de trois jeunes femmes kurdes et qu’elle reconnaît dans une des victimes la femme rencontrée un soir en 2011, le souvenir de cette rencontre commence à la hanter. Elle s’aperçoit qu’elle ne sait rien des Kurdes. Elle se lance alors dans une enquête pour découvrir qui est Sakine Cansiz (Sara), quelle est l’histoire du peuple kurde qu’elle nous raconte de façon très claire sans rien de pesant ni de didactique. Elle rend un très bel hommage à Sakine Cansiz et aux Kurdes, trop souvent oubliés par l’Occident pour des raisons politiques d’entente avec la Turquie.
Mais elle nous montre aussi comment sa rencontre avec l’autre a bouleversé sa vie. Le fantôme de Sara l’obsède, lui fait perdre pied. La mise en scène épurée de Morgane Lombard et la scénographie dépouillée de Charlotte Villermet avec un décor que se réduit à un coffre qui devient banc, guichet, canapé et qui contient des accessoires (une étole rouge dans laquelle elle se blottit quand elle se renferme chez elle, des livres) et les lumières de Maurice Fouilhé qui dessinent l’ombre de Sara mettent en valeur le bouleversement qui s’opère en Florence Huige. Sara habite son corps, son esprit avant de l’amener à se trouver et à se libérer. Cette rencontre l’a révélée à elle-même. Elle dit : J’étais déterminée à aller jusqu’au bout de ce récit, de cette transmission. Ce travail a changé ma façon d’être. C’est la connaissance de l’autre qui nous ouvre au monde et qui permet d’accéder à la connaissance de soi.
Un spectacle très émouvant joué remarquablement bien par Florence Huige avec la musique d’Issa Hassan au Bouzouk qui nous tient en haleine pendant une heure trente.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 30 avril, les mercredis et jeudis à 21h – Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, Paris 4ème – Réservations : 01 42 78 46 42 ou www.essaion.com
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