Une femme se déplace, pas au bout du monde, mais dans le temps de sa vie, « un voyage intrabiographique ». Georgia a tous les attributs d’une femme moderne et heureuse, dynamique, enseignante à l’Université, un mari gentil, des enfants, une femme de ménage pour la soulager des tâches domestiques. Alors qu’elle déjeune avec une amie dans un de ces restos branchés qui a construit son succès sur « la platitude », servant des navets en deux vapeurs, du porridge au riz complet et tandis que le Sommelier des Eaux multiplie les explications destinées à guider le choix d’une eau en fonction du menu choisi, son téléphone lui annonce une série de catastrophes dans sa vie professionnelle, domestique et familiale. Brusquement elle disjoncte et dans l’affolement branche son téléphone sur le « brumisateur de table » qu’elle prend pour une prise. Par suite d’un mystérieux court-circuit électronique, elle se trouve propulsée dans son passé dans une succession d’arrêts sur image à différentes époques de sa vie. Après quelques allers et retours et la rencontre d’une femme qui a vécu la même aventure, elle se demandera pourquoi ne pas tenter de modifier le passé, en disant oui là où elle avait dit non ou en se préoccupant plus de son amie suicidaire. Et puis pourquoi ne pas essayer de voyager dans son avenir ? Ces voyages la conduisent à s’interroger sur l’amour, conjugal, filial et maternel, à remettre en cause certaines habitudes et à s’émanciper pour être enfin elle-même.
David Lescot a fait de cette histoire une comédie musicale, pour laquelle il a composé une partition jouée sur scène par quatre musiciens que l’on entrevoit derrière un rideau de gaze. Elle navigue du pop au soul, du jazz au hip-hop, nous laissant des petites musiques sur les lèvres. Passant des dialogues vifs, témoins de notre époque, au parler-chanté si lié à Michel Legrand dans les films de Jacques Demy, David Lescot laisse aussi de beaux morceaux à Ludmilla Dabo, superbe Georgia à la voix puissante et à la présence sur scène très forte, pour exprimer ses émotions, ses affolements, ses inquiétudes et ses désirs.
Les scènes s’enchaînent très vite grâce à une scénographie astucieuse, où un passage au noir ultrabref, comme au cinéma, nous fait passer du restaurant à un couloir, d’un appartement à un autre, d’une époque à une autre dans la vie de Georgia. Ses amants se succèdent, bondissant au-dessus du lit au gré de la rapidité de leur passage, tout comme les candidates à l’union avec le père divorcé qui ne cesse de se faire larguer et trouve des compagnes de plus en plus improbables !
Comme dans toute comédie musicale il fallait aussi de la danse. Le travail sur les chorégraphies de Glysleïn Lefever, inspiré des meilleures comédies musicales hollywoodiennes, apporte un tempo, de l’humour, de l’ironie, qui ajoutent du sens à cette histoire. Les ensembles sont réglés à la perfection. Le quart de tour très complexe dans le parcours des serveurs du restaurant, branché et snob, souligne le ridicule du « concept », le jeu de jambes des clients assis au restaurant se transforme en une danse très graphique et très drôle. La saisie des huissiers devient un ballet où la mère (superbe Candice Bouchet) joue les divas en pâmoison au chevet de laquelle ils sont contraints de se presser, comme on le voit dans les comédies musicales de Vicente Minelli.
Les dialogues acérés, la danse et la musique nous entraînent dans un tourbillon à la fois divertissant et drôle sur des sujets qui sont loin d’être légers. « La comédie musicale est pour moi le paroxysme du théâtre » dit David Lescot. Et il le prouve !
Micheline Rousselet
Du 16 au 23 décembre au Théâtre Monfort – 106 rue Brancion, 75015 Paris – Réservations : 01 56 08 33 88 – Tous les jours à 18h30, relâche le 20 décembre
Le théâtre reprend aussi sur la même période le spectacle de David Lescot Portrait de Ludmilla
en Nina Simone avec la même Ludmilla Dabo (voir culturesnes)
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