Goldoni écrit cette pièce alors qu’il s’est décidé à quitter Venise, sa ville qu’il aime tant et qui l’a tant inspiré. Il est lassé de la guerre d’usure que mènent ceux qui, à la suite du Comte Gozzi, n’entendent pas que le théâtre évolue vers autre chose que la traditionnelle commedia dell’arte. Goldoni se voit proposer un contrat à Paris par la Comédie des Italiens et comme il admire passionnément Molière, il espère y être mieux compris que dans sa ville. Mais avant de la quitter il veut prendre congé de son public et cette pièce résonne comme un magnifique écho à sa situation.

La pièce se passe chez le tisserand vénitien Zamaria, le dernier soir du carnaval qui marque la fin de la saison théâtrale. Il est veuf, a une fille et il a invité ses amis, des artisans comme lui, avec leurs épouses, pour dîner et danser. Les ouvriers de l’atelier ne sont pas exclus de la fête et sont là aussi sur le côté. Avant le dîner on joue aux cartes, on bavarde. Le jeune dessinateur Anzoletto, dont la fille de Zamaria est amoureuse, annonce qu’il va partir à Moscou où il est invité à venir travailler par des artisans italiens. Que faire, partir ou rester dans la ville auprès de la jeune fille aimée ? Dans la bouche d’Anzoletto on entend tous les arguments qui président au dilemme de Goldoni lui-même et les principes qu’il s’est fixés, par exemple de ne pas dénigrer le travail d’autres artistes. Dans cette pièce on est très loin des masques de la commedia dell’arte. Goldoni y dépeint des caractères simples, vrais, naturels. On y voit les relations sociales de l’époque, entre hommes et femmes, maîtres et serviteurs. On y entend les préoccupations de chacun, et soudain le théâtre de Goldoni semble avoir des échos tchékhoviens.

Théâtre : Une des dernières soirées de carnaval
Théâtre : Une des dernières soirées de carnaval

Après avoir mis en scène Monsieur de Pourceaugnac, Clément Hervieu-Léger a choisi de passer de Molière à Goldoni en continuant à mettre en scène un groupe. Tous, avec des caractères bien affirmés et très divers, contribuent à faire vivre cette petite société. Vêtus de costumes inspirés des portraits de l’époque, dans la douceur raffinée d’un éclairage qui semble être celui des bougies, ils jouent aux cartes, dressent la table, se font des confidences et disent leurs inquiétudes et leurs désirs. La musique glisse du baroque, où la voix d’Erwin Aros fait merveille, aux chansons populaires italiennes, accompagnées par le violoncelle de Clémence Prioux et la guitare de M’hamed El Menjra.

La distribution est très réussie, chacun des quinze acteurs trouvant bien sa place dans l’entrecroisement subtil des rapports humains au sein de ce petit monde homogène. Tous les rôles comptent. Il y a là l’amoureuse et douce Domenica (Juliette Léger) qui n’ose pas avouer son amour à son amoureux, Anzoletto, dont Goldoni semble faire son double (Louis Berthélémy). Le couple querelleur, avare et jaloux (Charlotte Dumartheray incarne la femme, Elenetta, de façon très drôle) contraste avec le couple un peu libertin où Marta (Clémence Boué) déploie des trésors d’élégance et de charme pour aider les amoureux. Stéphane Facco incarne brillamment Momolo, ce plaisantin épris d’absolu que tout le monde juge indispensable pour animer une soirée réussie. Marie Druc est la dentellière française qui rêve d’avoir encore un peu d’amour avec Anzoletto, nettement plus jeune qu’elle. Parlant un mixte de franco-italien, elle est très drôle et n’a rien de la caricature de la vieille belle, apportant un peu de nostalgie à ce personnage de femme encore séduisante qui ne se résigne pas au sort assigné aux femmes dès qu’elles n’étaient plus très jeunes. Madame Alba (Aymeline Alix) est hilarante en femme souffreteuse qui joue la malade, critique et refuse tout, empoisonnant tout le monde et surtout son mari par ses comédies.

Il n’y a dans la pièce aucune péripétie inattendue et pourtant on y trouve ce presque rien qui la rend moderne et très vraie. Il y est question d’amour, d’art et d’exil. C’est la dernière soirée de carnaval, on converse, on rit, on se moque, on dîne. Il y a de la nostalgie, mais aussi des rires, de la sensualité et, puisqu’on est à Venise à la fin du carnaval, on finit le dîner en chantant et en dansant. Et c’est magnifique !

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 20h30, les samedis à 15h30 et le dimanche 24 novembre à 16h

Théâtre des Bouffes du Nord

37 bis, boulevard de la Chapelle, 75010 Paris

Réservations:01 46 07 34 50


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