Le personnage central de l’histoire également au centre du dispositif scénique, est une femme lucide mais au seuil de la mort. Elle porte par ses ascendants, par tous ceux qui l’ont faite et par sa condition d’ouvrière du textile à Montluçon, la mémoire tragique ou héroïque d’environ une centaine d’années, en particulier la culture sociale des combats ouvriers dans un contexte de désindustrialisation. On pourrait s’attendre à un récit âpre et dur fait de violences, de déchirures et de plaies impossibles à cicatriser. Or, la première réussite du travail dramaturgique de Carole Thibaut, autrice, metteuse-en-scène et directrice depuis 2016 du Théâtre des Îlets – CDN de Montluçon, est de nous offrir un récit précis et captivant, fort et apaisé, sans complaisance mais sans ressentiment non plus, fabriqué à partir de lectures et de témoignages.

Le contraire aurait terni le beau nom de Galia Libertad, fille d’une immigrée juive polonaise et d’un réfugié républicain espagnol. Nom doublement emblématique. Libertad, son patronyme espagnol qu’il est inutile de traduire, évoque aussi bien les luttes de la Résistance contre l’occupation du pays par les Nazis et la répression complice du régime de Vichy que celles des ouvriers contre les dégâts d’une mondialisation déjà en route dans les années 70. Quant au prénom Galia, il signifie en hébreu la clémence de Dieu… Celle-ci n’est nullement invoquée par les personnages plutôt laïcs, voire athées. Mais, purgée de toute transcendance mystique, une certaine clémence immanente est à l’œuvre dans le récit. C’est dans un esprit de sage et sereine acceptation (sans résignation) des faits et des nécessités de la vie que les drames du siècle et la mort annoncée de Galia Libertad sont racontés et donnés à vivre en scène. À côté des valeurs de liberté, de solidarité, de progrès social et de luttes émancipatrices mises en avant par le spectacle, ce sont aussi des valeurs éthiques de compréhension et de tolérance qui s’en dégagent. Un récit en voix off inscrit dans la réalité historique les actions et échanges se déroulant sur le plateau. Ce qui n’empêche nullement les moments de folie ou de grâce comme cette conversation intime sous la nuit étoilée entre un couple séparé mais toujours relié.

La scénographie de Camille Allain-Dulondel est elle-même apaisée et apaisante tout en étant surprenante ! Tout se passe dans un hémicycle de voile vert et sous un grand feuillage suspendu à l’horizontal au-dessus de la scène, manière d’inscrire le drame avec ses peines et ses joies dans une nature nous enseignant que tout ordre est fait de désordre, que toute nécessité contient de l’imprévisible. De la Seconde Guerre Mondiale à aujourd’hui, ce sont trois générations de proches et d’amis de Galia Libertad qui nous font revisiter un siècle d’une histoire riche et compliquée de laquelle nous avons encore beaucoup à apprendre.

Un siècle est un spectacle passionnant et émouvant qui allie le régional au global, le particulier à l’universel, l’union à la différence, la géographie à l’histoire, le territoire à l’ailleurs, le théâtre à la mémoire des vivants – « Les morts ne peuvent pas laisser tranquilles les vivants sinon à quoi serviraient-il ? »

Une belle saga humaine de deux heures vingt. D’aucuns souhaiteraient peut-être que ce Siècle durât moins longtemps, fût plus resserré, se déroulât sur moins d’épisodes. Mais un siècle, une vie, c’est long ! ça demande du temps pour être parcouru dans son étendue et sa diversité. Plus ce siècle avance et plus on est embarqué dans l’aventure théâtrale collective et conviviale de Carole Thibaut assistée de Marie Demesy et de la troupe du Théâtre des Îlets (basée dans une friche industrielle ). Sur scène, pour les plus aînés, Monique Brun, Antoine Caubet, Jean Jacques Mielczarek, Olivier Perrier, Mohamed Rouabhi et Valérie Schwarcz ; pour la jeune génération, Hugo Anguenot, Chloé Bouiller et Louise Héritier. Sans oublier pour la construction du décor aussi simple que fantastique, Sébastien Debonnet et Jérôme Sautereau.

Saluons ce théâtre qui partage tant !

Jean-Pierre Haddad

Théâtre de la Cité Internationale, 21 bd Jourdan, 75014 Paris. Du 08 au 26 février, tous les jours sauf mercredi et dimanche à 19 ou 20 h. (consulter les horaires). Infos et réservations : 01 43 13 50 60 et https://theatredelacite.notre-billetterie.com/billets?spec=1177

Suite de la tournée : Maison de la Culture – SN de Bourges, les 27 et 28 avril


Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu