Les membres du collectif Les Rejetons de la Reine travaillent ensemble depuis qu’ils se sont rencontrés à l’Ecole Supérieure du théâtre de Bordeaux Aquitaine (TnBA). Simon Delgrange a écrit la pièce, ils l’ont mise en scène et la jouent notamment dans le cadre du Festival Impatience 2021 qui encourage les démarches scéniques innovantes et met en lumière les ambitions artistiques, scénographiques et textuelles des jeunes metteur·e·s en scène et collectifs d’aujourd’hui. La pièce commence sur un banal repas de famille, thème de nombreuses pièces de théâtre. Un couple bobo-beauf assis côte à côte attend l’arrivée de sa fille qui vient présenter sa nouvelle petite amie pour déjeuner. Elles arrivent enfin. Dès le départ, on sent une tension qui va s’amplifier. Cette scène réaliste et convenue va vite dérailler. Les répliques banales cherchant à briser la glace et à meubler la conversation se répètent en boucle avec parfois de légères variations, les répliques des uns deviennent celles des autres, les conversations particulières se juxtaposent. Tout ça grâce à un magnifique travail de chœur qui suscite comique et malaise. On pense à l’inanité du langage chez Ionesco et plus récemment chez Lagarce. On passe insensiblement du réel à l’absurde, au délire dans une interprétation totalement maîtrisée avec une précision d’horloge même quand tout se dérègle ce qui évite à la pièce de sombrer dans le grotesque et l’insupportable.

L’intrusion de cette jeune femme, activiste radicale, son poignard toujours en poche, fait apparaître le conservatisme de ce couple bourgeois : le père sert l’apéro, la mère est aux fourneaux, elle admire son mari et est dépressive. Elle révèle aussi les fantasmes, la monstruosité de chacun cachée sous le vernis policé du quotidien : l’amour quasi incestueux du père pour sa fille, la tentation de la tyrannie du père jouant le roi, la folie de la mère, la présence mystérieuse d’un bouc, Antoine, qui s’invite à différents moments de la pièce. Il est celui qui trouble le sommeil du père, celui dont la mère accouche, celui qui sera tué par des snipers. Le bouc, qui peut faire penser au rhinocéros chez Ionesco, métaphorise nos désirs et nos fantasmes mais aussi les non-dits : un enfant mort, le fils, le frère. Cette pièce qui pourrait paraître totalement foutraque est un vrai « thriller absurde » ainsi que le dit son auteur.

Pour ce premier spectacle, le collectif Les Rejetons de la Reine frappe fort. Il faut saluer leur travail. Un texte inventif qui amène les spectateurs à s’interroger sur la famille, la politique, l’engagement et le langage. Un décor minimaliste et rustique (deux chaises, une table, un four, des couverts) qui laisse toute sa place au jeu des acteurs et au texte. Des comédiens dont on sent le plaisir de jouer ensemble. Une mise en scène rythmée et parfaitement maîtrisée.

Frédérique Moujart

Tournée prévue en 2022-2023.

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