Sylvain Maurice a eu l’idée de relier et de mettre en scène deux courts textes de Jean-Luc Lagarce, L’apprentissage et Voyage à La Haye. Il s’agit de deux textes autobiographiques écrits en 1993-1994 peu avant sa mort en 1995. Il se sait séropositif depuis 1988. Le premier texte raconte l’hôpital, la sortie du coma et le retour à la vie. Le second raconte le voyage d’adieu, que devient une tournée à La Haye. Adieu à une ville qu’il a bien connu, aux lieux qu’il a aimés, aux gens avec qui il a travaillé. Les thèmes présents dans les deux textes sont sombres, la maladie, la mort que l’on sait certaine à l’époque, le désir encore là alors que le corps ne suit plus. Mais il y a l’ironie, l’humour de Lagarce et une pulsion de vie qui résiste parfois. Le titre est un pied de nez à la mort. Lagarce postule que son œuvre passera à la postérité et il ne s’est pas trompé. Avec son théâtre il revient parler aux vivants.

Son style dans L’apprentissage est reconnaissable entre tous avec cette façon de reprendre plusieurs fois ce qu’il vient de dire comme une succession de repentirs, pour préciser et mieux formuler sa pensée. L’humour éclaire les observations d’une précision clinique sur ce qu’est un malade à l’hôpital et bizarrement on rit assez souvent. Le Voyage à La Haye est à la fois plus vif, parce que placé sous le signe de l’urgence à l’approche de la mort, et plus mélancolique. Lagarce y décrit ses relations ambivalentes avec son entourage, la joie de revoir cette ville, d’y être un moment seul, l’envie de continuer à jouir des plaisirs des tournées mais aussi les agacements et la fatigue de la maladie qui corrompt tout. Sans qu’il le souligne, on sait que c’est fini et c’est d’autant plus émouvant.

Vincent Dissez, que nous avions admiré dans le monologue de Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, déjà mis en scène par Sylvain Maurice, est à nouveau parfait. Sobre il adopte, comme si c’était naturel pour lui, ce phrasé si particulier de Lagarce avec ses façons de redire pour préciser, pour trouver le mot juste. Il dit « cette grosse fille qui hurle comme si j’étais sourd ou imbécile ou un petit vieux devenu vieux sans qu’il le sache », il décrit les tuyaux dans le nez, les perfusions, l’ami qui lit à côté de son lit, l’infantilisation du malade. Tous ceux qui ont vécu un moment difficile à l’hôpital s’y retrouvent aussitôt projetés. L’acteur serre ses bras contre son corps et dit « je suis si maigre ». Quelques notes de jazz, le noir, et l’on passe très simplement au Voyage à Amsterdam. Le ton de l’acteur a changé. L’humour allié à une certaine rage contre le destin, qui imprégnait L’Apprentissage laisse place à une note plus désespérée. L’ironie est encore là mais elle se brise peu à peu sur le renoncement. On reste bloqué un sanglot dans la gorge quand on entend Vincent Dissez dire « J’irais pas plus loin, je veux m’en aller » et pourtant on repart avec lui quand il retourne à l’hôpital le lendemain. On n’ira pas plus loin. Le texte et l’acteur nous laissent en suspens et c’est très beau et très émouvant.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 29 janvier au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris – mardi, mercredi et vendredi à 20h, le jeudi à 19h, le samedi à 16h –

Réservations : 01 45 45 49 77 / billetterie@theatre14.fr

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