Dans ce monument qu’est La recherche, il fallait choisir. Ce qu’a retenu Jean Bellorini ce n’est pas le Proust mondain mais ce qu’il écrit sur la mémoire, sur les souvenirs qui pâlissent mais que les vivants s’efforcent de retenir, même lorsque ceux qu’ils ont aimés ont disparu. Il a donc choisi les extraits de La Recherche du temps perdu où le narrateur évoque son enfance et surtout sa mère et sa grand-mère. Il a confié le rôle du narrateur à Camille de La Guillonnière, qui a partagé la plupart de ses spectacles, et a placé en face de lui une actrice qui devait l’aider à ouvrir les tiroirs de sa mémoire, Hélène Patarot, qui a beaucoup joué avec Peter Brook. Tous trois signent cette adaptation que Jean Bellorini met en scène. Camille de La Guillonnière apparaît d’abord comme un visiteur qui encourage la vieille dame à évoquer ses souvenirs. Mais très vite le dialogue se transforme. Des rapprochements se font jour, l’actrice se souvenant de sa grand-mère l’aidant à mettre ses bottines comme un écho de celle de Proust, le festin préparé par sa mère dont elle a été séparée toute petite et qu’elle ne reconnaît pas, éveillant brusquement ses souvenirs comme la madeleine pour Proust. C’est Camille qui porte les mots de Proust et Hélène qui raconte ses souvenirs, mais peu à peu les sensations – l’amour de la grand-mère, le chagrin de sa mort – se rapprochent tellement, qu’Hélène Parrot peut s’approprier à son tour le texte de Proust, pourtant si intime.
Alors que chez Proust les objets sont des réveils de la mémoire, il n’y a quasiment pas d’objets sur le plateau. C’est la parole qui portera les souvenirs et la musique qui les aidera à surgir. Sébastien Trouvé a imaginé un univers sonore où dans le silence et la semi-obscurité s’élève la voix de Léo Ferré chantant Avec le temps. Jérémy Péret apportera ensuite des moments de respiration avec sa guitare. Sur la scène une forêt de chaises semble veiller. Portant la mémoire de ceux qui sont morts, elles se déplaceront doucement à la fin pour s’aligner, comme dans un rêve. Il n’y a que deux acteurs sur le grand plateau qui ressemble à une sorte de grande salle à l’abandon, mais ils l’occupent pleinement. Tantôt assis côte à côte, tantôt face à face, tantôt semblant se promener sortant par un côté de la scène pour rentrer de l’autre, leurs voix ne nous quittent jamais et l’on aime aussi leurs silences, lorsqu’ils fouillent dans leurs souvenirs. Au-dessus de la scène, un petit cagibi, évoque l’endroit confiné où Proust s’enferma, les dernières années de sa vie pour écrire, lire et rêver. Camille de La Guillonnière y reprend la parole de Proust, mais invite aussi Hélène Patarot à l’y suivre, réveillant ses souvenirs qui entrent en coïncidence avec ceux de l’écrivain. Et lorsqu’à la fin Hélène Patarot dit qu’elle sait que sa grand-mère est morte, qu’elle ne reviendra plus frapper doucement à la cloison pour vérifier si elle dort et que Camille de La Guillonnière dit qu’il voit la sienne moins souvent dans ses rêves, la lampe n’a plus qu’à tomber, laissant place à la nuit et c’est très beau.
Micheline Rousselet
Du lundi au samedi à 20h, le dimanche à 15h30, relâche le mardi
Théâtre Gérard Philipe
59 Bld Jules Guesde, 93200 Saint Denis
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 48 13 70 00
En tournée ensuite : 16 et 17 février à Tremblay en France, 13 au 16 mars à La Criée à Marseille, les 20 et 21 mars à Perpignan, les 26 et 27 mars à Caen, les 4 et 5 avril à Béziers
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