Denise Chalem, comédienne, autrice et metteuse en scène, a été séduite par la finesse, la justesse et l’humour des chroniques de Kamel Daoud. Romancier (Goncourt du premier roman pour Meursault contre-enquête) et journaliste, il confiait ses chroniques au Quotidien d’Oran, dont il fut rédacteur en chef de 1998 à 2008. Leur ton a séduit de nombreux media internationaux qui les ont reprises. Denise Chalem leur donne une vie sur la scène grâce à une fiction qui met face à face deux hommes.

Pierre, musicien à l’étroit dans son appartement parisien, est invité par Zireg, un ami écrivain algérien, contesté dans son pays pour ses critiques trop libres (comme l’est Kamel Daoud). Là-bas à Mostaganem, Pierre pourra faire « hurler » sa trompette sur la plage. Leur vie est différente, l’un est musicien, l’autre écrivain, ils n’ont pas eu la même enfance, n’ont pas supporté les mêmes épreuves. Pour l’un ce village est le havre de paix où il peut jouer sa musique, pour l’autre c’est un monde un peu étriqué où tout le monde épie tout le monde. Ils peuvent se disputer mais ils s’aiment, se disent les choses avec franchise et honnêteté. Ils sont unis par la même exigence, pour l’un écrire en marchant, en dormant , en rêvant, pour l’autre chercher la note juste, travailler son souffle. Et ils partagent le plaisir de goûter de bons plats et de boire du vin. Synonyme d’extases pour les anciens mystiques, objet d’interdit dans la société musulmane (mais autorisé au paradis !), le vin est pour eux le symbole même du partage, du rouge algérien au blanc parisien sans oublier le rosé ! A la recherche d’un fil qui outre l’amitié relierait les deux hommes, Denise Chalem a pensé à la question des femmes, empêchées de vivre librement au Maghreb, corps contraint à l’invisibilité, sorties surveillées ou empêchées. Mais en France aussi fait remarquer Pierre ce sont elles qui ont toujours en charge l’essentiel du travail domestique et sont l’objet des fantasmes masculins.

Le fond bleu du plateau devient vagues tandis que retentit le son de la trompette d’Ibrahim Maalouf (Pierre) qui arrive pieds nus dans le sable bientôt suivi de Zireg le chroniqueur, savates à la main. Des meubles arrivent en glissant nous emmenant dans la maison où le magnifique piano à queue s’ouvre révélant un bar avec les verres qui vont permettre aux deux hommes de trinquer. Le mur du fond accueillera des textes suspendus par des pinces à linge, l’indication de lieux et de dates, des phrases aussi, pleines d’humour comme «En Algérie le jogging contre les radicaux » ou « pourquoi les islamistes sont-ils si angoissés par la femme ». Des images, des pieds dans le sable que viennent lécher les vagues, un immeuble à Paris nous font voyager d’un lieu à l’autre.

Thibault de Montalembert incarne Zireg. Il écrit à haute voix, il regarde la jeune femme qui passe, étend son linge et chantonne. Une jeune comédienne intense, Sarah-Jane Sauvegrain, représente toutes ces femmes, désireuses de vivre, de sortir, de chanter mais bloquées par la jalousie et la violence des hommes. Thibault de Montalemebert semble lui souffler ce qu’elle dit : « Le corps des femmes n’est pas le lieu de vos guerres… Ma sexualité est mon partage pas ma honte ». Il porte la parole politique de Kamel Daoud, jamais comme un drapeau brandi, mais avec une force décuplée par l’humour « Je veux bien aller vers Dieu, à pied s’il le faut, mais pas en voyage organisé » ! Et avec son harmonica il se fait un peu musicien pour son ami.

Ibrahim Maalouf pour la première fois se mue, et fort bien, en acteur. Mais musicien il reste jouant de sa trompette mais aussi du piano et de la gasba, cette petite flûte berbère.

Tous deux évoquent concerts et conférences, parlent de musique et d’écriture, de la société qui bloque les espoirs en Algérie, de la religion, de l’islam, trop souvent confondu avec l’islamisme, du voile, des attentats, de l’isolement pendant la Covid. Tous deux boivent, tous deux s’écoutent avec humour et tendresse. Ils sont exceptionnels.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 31 mars au 13ème Art, Centre Commercial Italie 2, Place d’Italie, 75013 Paris – du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 16h et 20h30, le dimanche à 17h – Réservations : 01 48 28 53 53

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