
Après La ménagerie de verre, créée dans ce même Lucernaire il y a deux mois avec les élèves de leur école d’art dramatique, Philippe Person et Florence Le Corre mettent en scène cette fois une pièce de Feydeau.
La pièce est emblématique de la mécanique de précision de Feydeau. Les quiproquos se multiplient, les personnages cavalcadent, les rebondissements se succèdent en cascade. Nous sommes chez Lucette Gauthier, chanteuse de cabaret à succès. Le Figaro rend compte de son triomphe la veille. Le problème est que dans ce même numéro se trouve l’annonce du mariage le soir même de M. de Bois d’Enghien, son amant qu’elle adore, avec Viviane Duverger, une jeune baronne, et que M. de Bois d’Enghien est venu pour rompre. La rupture ne semble pas facile à annoncer d’autant plus qu’une kyrielle de personnages truculents, domestiques zélés ou roublards et visiteurs intempestifs viennent se mettre en travers de son projet : la sœur de Lucette (Marie Brocquehaye), toujours affamée, Cheneviette (Sacha Roy Sainte-Marie) toujours à court d’argent qui dilapide aux courses la pension du fils de Lucette, Fontanet (Dushan Delic Illien) l’ami gaffeur à l’haleine fétide au point que le valet Firmin (Éléonore Arras) arrive masque chirurgical sur le visage, Bouzin (Théo Brugnans) le rimeur de bas étage cherchant à placer sa chansonnette, sans compter un général sud-américain amoureux (Jean-Gerald Dupau) à la gâchette facile, qui fait ses entrées sur un air de paso-doble.
Sur la petite scène du Lucernaire, sous la direction de Florence Le Corre et Philippe Person, les jeunes comédiennes et comédiens déploient une admirable énergie pour nous offrir un spectacle survolté où on rit beaucoup. Un décor de salon, des costumes d’époque, robes longues élégantes pour les femmes et costumes pour les hommes, nous sommes chez Feydeau. Entre les scènes un air de french-cancan soutient le rythme endiablé, ce qui n’empêche pas que derrière la valse des amours, des ambitions et les quiproquos typiques du vaudeville, se révèle la satire d’un monde où l’hypocrisie n’a d’égale que l’élégance et où l’argent permet tous les caprices.
Les metteurs en scène ont su installer un rythme effréné. Bois d’Enghien confisque à la volée tous les numéros du Figaro qu’il peut attraper, car tous les visiteurs arrivent journal à la main pour féliciter Lucette, et la rumeur s’amplifie avec les acteurs qui passent à toute vitesse fredonnant Figaro-ci Figaro-là. Le Général amoureux est une parfaite caricature d’un caudillo sud-américain au sang chaud et son valet a une cape d’indien péruvien ! Pistolet au poing il poursuit sans coup férir tous ceux qu’ils croient être ses rivaux.
Selma Hubert incarne Lucette avec grâce et vivacité. Elle pétille, joyeuse, heureuse de son succès, prête à être couverte de fleurs et de cadeaux par tous, mais elle est amoureuse et elle ne cesse de questionner à ce sujet son amant. Clément Ternisien incarne un Bois d’Enghien bien lâche qui au matin de son mariage n’a pas encore réussi à dire la vérité à Lucette. Sa future épouse Viviane (Éléonore Arras) n’est pas enthousiasmée par ce mariage et souhaiterait un mari dont les maîtresses défraieraient les chroniques. Elle est pétulante à souhait en capricieuse qui surprend sa baronne de mère (Constance Rocher) et saute de joie en découvrant les frasques de son futur époux.
Un Feydeau servi par une troupe où le plaisir de jouer éclate pour le bonheur des spectateurs.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 27 juillet au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – du mercredi au samedi à 20h, les dimanches à 17h – Réservations : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr
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