La metteuse en scène Julie Deliquet a fait des études de cinéma et s’est toujours intéressée au rapport entre théâtre et cinéma, comme elle l’avait si bien montré avec Fanny et Alexandre créé l’an passé à la Comédie Française. Travailler sur le film d’un réalisateur vivant comme Arnaud Despléchin l’intéressait et particulièrement Un conte de Noël , un film sur la famille un peu à l’image de cette communauté qu’est le Collectif In vitro qu’elle a crée en 2009 et avec qui elle travaille depuis.

Théâtre : un conte de Noël
Théâtre : un conte de Noël

Une famille donc, réunie quatre jours à l’occasion de Noël, une famille qui se dit « normale », mais on est en droit de s’interroger. Un père teinturier, féru de philosophie, une fille dramaturge reconnue, dont le mari est Médaille Fields et le fils schizophrène, un autre fils brillant et séducteur qui a fait un peu de prison pour escroquerie. Elizabeth, la dramaturge, a banni ce frère, Henri, de la famille il y a cinq ans. Tous plus quelques autres, le benjamin Ivan, sa femme Sylvia et leur fille, un cousin peintre Simon, un ami d’enfance des fils et la petite amie du moment d’Henri, vont se trouver réunis pour quelques jours dans la maison familiale. Comme dans toutes les familles « normales », ces réunions de famille sont aussi celles où sortent les non-dits, les petites jalousies enfouies qui s’expriment avec plus ou moins de violence. Et comme souvent, derrière cette colère se cache un amour profond. C’est de tout cela qu’il s’agit ici et plus encore car il y là aussi le fantôme d’un enfant mort il y a longtemps. Henri avait été conçu dans l’espoir de le sauver grâce à une greffe, mais tout comme son frère et sa sœur, il n’était pas compatible. Aujourd’hui, c’est la mère, Junon qui a un cancer et a besoin d’une greffe osseuse.

Les spectateurs sont placés dans un dispositif bifrontal afin de multiplier les points de vue. C’est une pièce chorale, les personnages sont là, parfois silencieux, et le public imagine. Julie Deliquet a souhaité s’approprier cette histoire intime. Elle n’a donc pas cherché à reconstituer Roubaix, le cadre du film. On reste à l’intérieur de la maison et elle a utilisé des éléments de décor de ses précédentes créations pour en faire le Roubaix de sa famille de théâtre. Il y a un sapin, des canapés, des lampes, un tourne-disques où parfois les acteurs mettent le disque de leur adolescence. Elle s’est emparée du scénario d’Arnaud Despléchin mais a fait la part belle au travail de ses acteurs. À eux d’imaginer la part cachée des personnages pour qu’ils existent vraiment, à eux de donner de l’épaisseur aux personnages périphériques, tels Sylvia (Hélène Viviès vibrante d’émotion) Spatafora (David Seigneur), l’ami d’enfance ou Faunia l’amie d’Henri (Agnès Ramy, superbe d’ironie distante). Il s’agit d’une comédie et l’on rit, même si le rire s’arrête brusquement comme si nous étions sur une crête où l’on pourrait basculer dans la tragédie. Abel et Claude, le médaillé Fiels, emplissent de calculs de probabilités un grand tableau pour calculer les chances de survie de Junon et les risques de son donneur avant de se corriger et d’arrêter brutalement. On croise le souvenir de Shakespeare, du Conte d’hiver mais aussi de Titus Andronicus , dont ils jouent un extrait lors du dîner, et même du Songe d’une nuit d’été car tout le monde parle d’aller dormir, mais personne ne dort !

Comme toujours chez Julie Deliquet le travail des acteurs est d’une grande finesse. On retiendra particulièrement Marie-Christine Orry, Junon la mère, forte et fragile à la fois, qui assume d’avoir aimé ses enfants de façon différente, qui a peur de mourir mais encore plus du choix qu’elle impose, indépendamment de sa volonté, à ses enfants pour sa survie. Julie André incarne la colère d’Elizabeth, sa tristesse qu’elle n’arrive pas à expliquer, ses excès d’amour envers sa mère et son fils, sa façon de vouloir tout régenter et ses échecs. Stephen Butel est Henri. Magnifique écorché vif, il fait rire et grincer, s’abîme dans l’alcool et les railleries pour cacher sa douleur d’avoir été mis à l’écart de la famille. Tous sont justes et à la fin comme chez Tchekhov, ils se séparent un peu mélancoliques. Notre souvenir les accompagne, rien n’est définitivement réglé, mais ils ont avancé et demain, on verra !

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h

Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier

1 rue André Suarès, 75017 Paris

Réservations : 01 44 85 40 40


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