Johana est une femme d’affaires déterminée. Elle gère sa famille et sa vie amoureuse comme son entreprise avec détermination et sans état d’âme. Mais elle se sent au bord du burn-out avec ses affaires qui lui causent quelques soucis, sa fille, diplômée de Sciences Po qui se pique brusquement de devenir chanteuse et son fils, tout juste sorti d’HEC qu’elle soupçonne d’être homosexuel. Elle décide d’embaucher un homme qui va être chargé de « penser comme elle » pour pouvoir la remplacer dans toutes les circonstances, s’occuper de son business, sauver sa fille du sort qui la guette si elle s’obstine à vouloir embrasser une carrière de chanteuse, vérifier les orientations sexuelles de son fils, etc… Elle veut tout contrôler.

Stéphane Robelin, qui a réalisé plusieurs documentaires pour la télévision et trois longs métrages pour le cinéma, souhaitait s’intéresser au monde du travail, à l’aliénation des actifs et aux effets pervers de la globalisation. A travers l’histoire de cette famille, il pointe des questions essentielles avec humour et un sens aiguisé des situations et des formules. L’économie marchande a gagné la société. Pourquoi ne pas confier à des professionnels la gestion de notre vie ? Qu’est-on prêt à aliéner de sa personnalité pour un salaire conséquent, qu’est-on prêt à exploiter chez l’autre pour rentabiliser son business ? Est-on encore prêt à renoncer à gagner de l’argent si c’est au prix du sacrifice de nos valeurs et jusqu’à quelles conséquences peut mener la manipulation de l’autre ? L’auteur nous place sur une ligne de crête, où l’absurde flirte avec le réel, où derrière l’exacerbation des situations on craint de déceler notre monde.

Stéphane Robelin signe aussi la mise en scène. Entre les scènes, dans le noir s’affiche les lignes de ce qui pourrait être un circuit neuronal évoquant la manipulation, domaine où Johana est passée maître en imposant son tempo nerveux. Elle veut de la rentabilité et de l’efficacité dans tous les domaines. Son compagnon, Denis interprété par Philippe Chaine tente bien de résister en se réfugiant sur les chiffres de son ordinateur, mais difficile de s’opposer à l’ouragan de volonté qu’est Johana, surtout quand on en dépend financièrement. Tom Robelin est le fils, Paul, toujours avec son tapis de gym à la main, qui au final, choisit une voie qui ne peut que laisser sa mère stupéfaite. Juliette Marcaillou est Léa, la fille, qui a le parcours inverse de son frère. Semblant résister à sa mère en choisissant une voie artistique, elle finit aussi arriviste qu’elle. Lionel Nakache est Raphaël, l’homme à penser de Johana. Il choisit d’apparaître un peu comme une pâte molle qui se laisse manipuler. Pourtant comme il finit par être vendu avec l’entreprise, pour devenir l’homme à penser d’autres chefs d’entreprise ou candidats politiciens et qu’il devient lui-même recruteur pour développer le marché des hommes à penser, son jeu devra gagner en ambiguïté, ce qui viendra sûrement au fil des représentations. Sophie Vonlanthen enfin est formidable en ouragan toujours au bord de l’explosion. Vêtue d’une longue robe d’intérieur de velours pourpre, elle s’impose. Qu’elle fasse passer l’entretien d’embauche (où par glissements successifs on passe du réalisme à l’absurde) ou qu’elle tire les enseignements du système qu’elle a imaginé, elle est formidable et terrifiante.

Un beau moment de théâtre au service d’un texte qui fait rire tout en interrogeant sur l’évolution de nos sociétés de plus en plus marchandes.

Micheline Rousselet

À partir du 17 novembre à La Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, 75018 Paris – jeudi, vendredi et samedi à 21h, dimanche à 17h – Réservations : 01 42 33 42 03 ou manufacturedesabbesses.com

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