Autour de la guerre il y a surtout des romans ou des pièces qui exaltent la résistance ou la lâcheté des vaincus. Le roman de Gilles Rozier aborde la question sous un angle différent et beaucoup plus dérangeant. Une femme, ou un homme car le sexe du narrateur n’est pas précisé, professeur d’allemand ne vit que de l’amour de la littérature, de la musique et de la langue allemandes. Elle est mariée mais son indifférence à l’égard de son époux est égale à celle qu’elle éprouve pour la situation politique. Quand les Allemands occupent la France, elle regarde les troupes allemandes défiler et les voit arrêter des élèves ou sa mercière. Elle reste indifférente, ne se sent pas menacée puisqu’elle n’est ni juive ni communiste et se contente de cacher au fond de sa cave les livres de Thomas Mann, Stefan Zweig et tous les autres désormais interdits. Elle fait des traductions pour les occupants et remet ses textes à un jeune Allemand qui chantonne du Chopin et l’émeut physiquement. Un jour, parmi les personnes arrêtées qu’elle voit passer dans les bureaux de la Gestapo et dont elle sait le sort qui les attend, elle repère ce jeune Allemand qui s’avère être Juif. Sans réfléchir elle réussit à l’emmener et le cache dans l’arrière cave où elle a dissimulé les livres interdits. Ils parlent de littérature, elle découvre le yiddish, cette langue qui la fascine et la dégoûte un peu comme quelque chose de trop proche, et de différent pourtant, de la langue qu’elle aime. Un jour ils vont enfin faire l’amour, elle se découvre « vivante enfin » et s’accroche au plaisir qu’elle vient de découvrir.
Gabriel Debray a demandé à Gilles Rozier de faire une adaptation théâtrale de son roman qu’il souhaitait mettre en scène. Il en aimait l’écriture à la première personne, les questionnements froids de l’héroïne (ou du héros car ce pourrait aussi bien être une relation homosexuelle), la tension narrative et les retournements de situation dignes d’un polar. Au centre un salon où sur un fauteuil est assise la narratrice. Sur le côté un espace obscur, l’arrière-cave où elle se faufile avec une bougie pour rejoindre celui qu’elle cache et qui va devenir son amant. Le personnage est interprété en alternance par un homme Xavier Beja, ou par une femme Chantal Pétillot. Chantal Pétillot a la froideur et le feu de la narratrice. Visage austère, cheveux roux coupés au carré, elle a les jugements d’une lucidité glaçante de cette femme d’une indifférence terrifiante à l’égard de sa famille et qu’émeut seulement la beauté de la langue allemande. Jusqu’au jour où le désir et le plaisir semblent l’éveiller de ce long sommeil des sentiments, la faisant se rouler par terre et se tordre comme sous les caresses d’un amant.
Jusqu’à la chute (que nous ne dévoilerons pas!) on s’interroge. Pourquoi l’a-t-elle caché ? Par compassion, par amour pour la langue allemande, par désir érotique ? Et lui pourquoi lui fait-il l’amour ? Par désir ou pour sauver sa peau ? On sort bousculé et plein d’interrogations car jusqu’à la fin cette femme nous surprend.
Micheline Rousselet
Les vendredis à 20h30, les samedis et lundis à 19h, les dimanches à 17h
Horaires exceptionnels avec les deux interprètes le même jour : lundis 21 et 25 octobre à 18h30 Chantal Pétillot, et à 20h30 Xavier Béja
Du 18 au 20 octobre Xavier Béja, du 8 au 11 novembre Chantal Pétillot, du 15 au 18 novembre et du 22 au 24 novembre Xavier Béja et Chantal Pétillot un soir sur deux
Théâtre Le Local
18 rue de l’Orillon, 75011 Paris
Réservations : 01 46 36 11 89
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